3 QUESTIONS À XAVIER MORIN, À PROPOS DES FORÊTS MÉLANGÉES
3 QUESTIONS À XAVIER MORIN, À PROPOS DES FORÊTS MÉLANGÉES
DE L’IMPORTANCE DES FORÊTS MÉLANGÉES
Xavier Morin est chercheur au CNRS et co-fondateur de Canopée.
Que sait-on des vertus des forêts mélangées par rapport aux forêts mono-spécifiques ?
Une forêt composée de diverses essences d’arbres représente un réservoir plus riche de biodiversité, même s’il est difficile de mesurer toute la biodiversité d’un écosystème. Elle constitue de fait une structure plus complexe et potentiellement plus riche en habitats (FAO & UNEP 2020). On va donc potentiellement y retrouver un plus grand panel d’oiseaux, d’insectes, de champignons, etc. Ces forêts résistent également mieux aux ravageurs, qu’il s’agisse d’insectes ou d’agents pathogènes. On observe qu’à l’instar des chenilles processionnaires du pin, ces ravageurs sont souvent spécialistes d’une espèce en particulier. Or un arbre situé en forêt mélangée est beaucoup plus difficile à repérer, ce qui réduit le risque qu’il soit attaqué.
Depuis 25 ans environ, de plus en plus d’études s’intéressent aux effets de la diversité des essences sur le fonctionnement des écosystèmes. La plupart révèle que cette diversité a plutôt tendance à stimuler la productivité 1 d’une forêt, que ce soit à petite ou grande échelle (Van der Plas 2019). Mais comment expliquer que les arbres se développent plus au contact d’autres espèces ? L’hypothèse la plus sérieuse défend l’idée que le mélange des essences permettrait d’optimiser la captation des ressources. Les arbres vont par exemple développer des systèmes racinaires plus ou moins étalés et plus ou moins profonds dans le sol, ce qui permettra de capter plus largement la ressource en eau. Selon la même logique, la variété et la complémentarité des essences va permettre un fort développement de la canopée 2. Le fait que certaines d’entre elles tolèrent mieux l’ombrage que d’autres va générer un étagement des feuillages et permettre à la forêt dans son ensemble de mieux capter la lumière du soleil.
Reste que la cohabitation inter-espèces est plus ou moins optimale en fonction des essences et des conditions stationnelles (sol, climat). Il existe ainsi des mélanges d’essence « qui marchent » et d’autres moins (Toïgo et al. 2015). Parmi les exemples où il y a un bénéfice pour la forêt, on observe par exemple que le sapin et le hêtre sont particulièrement complémentaires. Ceci s’expliquerait, entre autre, notamment car par le fait que le hêtre perde ses feuilles pendant la saison hivernale, laissant au sapin le champ libre pour capter la lumière sans compétition interspécifique. Plus généralement enfin, les forêts diversifiées assurent de façon plus efficace plusieurs services écosystémiques tels que la production de biomasse de bois, de champignons, la protection contre les tempêtes ou encore la filtration de l’air et de l’eau.
En quoi les forêts mélangées sont également mieux pourvues face au changement climatique ? Par quels mécanismes physiologiques cela s’explique-t-il ?
Les dernières études scientifiques démontrent, qu’en moyenne, les forêts mélangées sont globalement plus résistantes et plus résilientes face aux phénomènes climatiques extrêmes comme les tempêtes ou les épisodes de sécheresse (Anderegg et al. 2018), dont l’intensité et la fréquence augmentent avec le changement climatique. La diversité des essences et de leur réaction face à ces phénomènes permettrait d’en atténuer les conséquences néfastes. Certains arbres vont par exemple être fortement impactés par le stress hydrique quand d’autres vont mieux le supporter. Par effet d’interaction et/ou de complémentarité, la forêt dans son ensemble va profiter de la multiplicité de ces réactions. Le cercle devient alors vertueux dans la mesure où atténuer le stress hydrique permet d’atténuer la vulnérabilité des arbres par rapport aux insectes et aux incendies.
Si, sur la question de la résilience des forêts mélangées face aux incendies, il y a encore trop peu d’études pour qu’un consensus scientifique se dégage, les forêts à essences multiples présentaient un microclimat plus « tamponné » que les autres, c’est-à-dire que les conditions sous couvert végétal y étaient en moyenne plus fraîches et plus humides en été, plus chaudes en hiver. Cet aspect pourrait s’avérer crucial pour la régénération des essences dans des conditions climatiques qui pourraient être de plus en plus sèches et chaudes.
D’après vous, serait-il judicieux de remplacer des forêts existantes peu diversifiées par de nouvelles plantations ?
Si favoriser la diversité des essences serait une démarche plutôt vertueuse pour le développement, la résistance et la résilience des forêts, les modes d’action pour y parvenir ne se valent pas tous. Pour le forestier de formation que je suis, couper une forêt – même en monoculture – pour en replanter une, n’est pas une solution. D’autant plus qu’il a été montré que les vieilles forêts sont plus fonctionnelles que les plantations (Begovic et al. 2023, Hua et al. 2022). Il faudrait au contraire miser, à chaque fois que c’est possible, sur la régénération naturelle pour une transition plus en douceur. L’un des leviers consisterait à couper quelques arbres seulement, à en replanter quelques autres 3 et à laisser ensuite la forêt se débrouiller. Sauf dans les zones où les conditions sont particulièrement difficiles (sol pauvre, climat extrême, etc.) et où seules quelques essences peuvent s’installer, survivre et se reproduire, la nature va tendre d’elle-même vers la diversité.
Plus généralement, l’intervention humaine en gestion forestière peut tout à fait se faire de façon intelligente et durable. La futaie jardinée est un bon exemple d’exploitation forestière proche de ce qui se passe en forêt naturelle. Elle promeut des forêts d’arbres aux âges, tailles et essences variés. Bien appliqué, ce modèle peut permettre que des arbres arrivent à maturité de façon régulière tout en conservant un couvert forestier plus ou moins continu. Ce mode de gestion peut être tout à fait rentable économiquement, avec des revenus plus étalés qu’avec d’autres modes de gestion, et a été adopté par le réseau de forestiers Pro Silva France. S’il n’est pas applicable partout, (il peut être difficile à mettre en place en région méditerranéenne par exemple), il serait intéressant de le déployer davantage en France.
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1 La productivité d’une forêt fait référence à l’accroissement en volume et en biomasse de ses arbres. Elle est un indicateur de l’adéquation entre une essence et son lieu d’implantation ainsi que du potentiel de production d’une parcelle forestière.
2 La canopée d’une forêt est la zone correspondant à la cime de ses grands arbres.
3 Ce procédé est celui de l’« enrichissement ».
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Bibliographie
FAO and UNEP. 2020. The State of the World’s Forests 2020. Rome : FAO and UNEP. 188p.
Van der Plas, F. 2019. “Biodiversity and Ecosystem Functioning in Naturally Assembled Communities.” Biological Reviews 94: 1220-45
Toigo, M., et al. 2015. “Overyielding in Mixed Forests Decreases with Site Productivity.” Journal of Ecology 103:502–12.
Anderegg, W.R.L. et al. 2018. “Hydraulic Diversity of Forests Regulates Ecosystem Resilience during Drought.” Nature 2018 561(7724):538–41.
Begović, K et al. 2023. “Large Old Trees Increase Growth under Shifting Climatic Constraints: Aligning Tree Longevity and Individual Growth Dynamics in Primary Mountain Spruce Forests.” Global Change Biology 29:143–64.
Hua, F. et al. 2022. “The Biodiversity and Ecosystem Service Contributions and Trade-Offs of Forest Restoration Approaches.” Science 376(6595):839–44.