Pourquoi parle t-on de « privatisation » de l’Office National des Forêts ?
L’Office National des Forêts (ONF) est l’établissement qui gère les forêts publiques depuis 1964. Mais le nombre d’employés de l’ONF diminue fortement depuis 20 ans, et les postes de fonctionnaires sont peu à peu remplacés par des contractuels de droit privé.
L’ONF perd son rôle de protecteur de la forêt et doit produire de plus en plus de bois. Cette dynamique implique de graves dangers pour nos forêts : Canopée s’engage pour le maintien d’un véritable service public forestier.
A quoi sert l’Office National des Forêts (ONF) ?
En France, 25% des forêts sont publiques. Cela signifie qu’elles appartiennent aux communes (on parle de forêts communales) ou à l’État (forêts domaniales).
Ces forêts communales et domaniales sont gérées par l’ONF : ce sont les agent.es de l’ONF qui observent les dynamiques naturelles, sélectionnent les arbres à couper, organisent l’accueil du public, protègent la biodiversité, s’assurent que le code forestier est respecté…
L’ONF est un établissement public, ce qui doit en théorie lui permettre de travailler sur le temps long, et de ne pas être motivé par une logique de profits. Une entreprise privée, à l’inverse, doit au minimum atteindre l’équilibre budgétaire à moyen terme, et cherche souvent à faire des profits à court terme. Or, en forêt, c’est la vente de bois qui apporte de l’argent : une entreprise privée aura donc structurellement davantage tendance à couper d’importantes quantités de bois, et à moins prendre en compte les dynamiques naturelles. Pourtant, le rythme de la forêt est justement celui du temps long : la forêt évolue lentement par rapport aux repères humains et doit donc se gérer sur le long terme.
A quels problèmes l’ONF fait-il face ?
En 20 ans, l’ONF a perdu 38% de ses effectifs. Cela signifie que les surfaces gérées par chaque agent.e augmentent, et que certaines tâches doivent être abandonnées. Frederic Bedel, ingénieur forestier à l’ONF, explique : “L’ agent forestier n’est plus doté des moyens ni de la structure pour assurer ses priorités, comme l’adaptation des écosystèmes et le maintien du couvert forestier”. La dernière décision en date : 475 suppressions de postes supplémentaires d’ici 2025.
Les postes de fonctionnaires sont peu à peu remplacés par des contractuels. La loi ASAP (Accélération de la Simplification de l’Action Publique), votée en 2020, a permis au gouvernement de modifier par ordonnance le code forestier, afin d’encourager le recrutement de forestiers de droit privé. Un pas de plus vers la privatisation. Le statut de fonctionnaire établit des avantages, comme la sécurité de l’emploi, et permet l’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du pouvoir politique et la protection de ses missions. Il tend à garantir que le service public soit rendu de manière impartiale et dans l’intérêt général. Aujourd’hui, l’ONF compte encore environ 5000 fonctionnaires pour 3000 contractuels.
Les objectifs des forestiers sont de plus en plus orientés vers la production de bois. Si, au niveau national, l’ONF se défend de toute augmentation globale de la récolte de bois, la situation est parfois plus contrastée: par exemple, dans la forêt domaniale de Mormal, l’une des plus grandes du Nord de la France, les prélèvements sont supérieurs aux objectifs fixés par le plan d’aménagement et sont à l’origine d’un conflit avec les associations locales. La position de l’État et les obligations de rendement imposées (l’ONF produit 40% du bois en France, sur 25% de la surface forestière) contribuent à un sentiment de perte de sens des agents de l’ONF et mettent à mal leurs missions traditionnelles : missions de police, de protection de la biodiversité, de service aux collectivités et de sensibilisation. Pour faire des économies, ce sont les postes d’ouvriers qui sont les premiers supprimés et remplacés par des sous-traitants, moins bien payés et plus précaires. Résultat: davantage de dégâts lors des chantiers d’exploitation. La mise à mal de la relation entre les agents de l’ONF et leurs concitoyens est un dégât collatéral de cette évolution. Perçus comme des « coupeurs de bois », ils sont aujourd’hui dans une position délicate. Ils font face à la direction d’une part, et de l’autre à l’opinion publique, préoccupée par l’impact nocif de la gestion actuelle et l’état de la forêt publique.
Autre conséquence : la multiplication des partenariats commerciaux douteux. Le pire exemple est sans doute celui de Total, qui finance plusieurs projets de plantation d’arbres afin de se donner une image verte. Non seulement l’ONF brade son image pour servir de caution à des entreprises, mais elle déforme la réalité même du métier de forestier. En forêt, l’acte de planter est exceptionnel : l’essentiel des forêts se renouvelle naturellement et l’art du forestier est justement d’accompagner cette dynamique naturelle. Mais « planter des arbres » est devenu un business très juteux, alors les opérations de communication se multiplient. En première ligne, les agents qui se retrouvent à devoir assumer des projets qui n’ont parfois aucun sens d’un point de vue sylvicole.
La résistance s’organise contre le nouveau contrat État-ONF
Le dernier contrat d’objectifs signé entre l’Etat et l’ONF a été adopté à l’arraché lors du conseil d’administration de juillet 2021 et fait toujours l’objet d’une vive contestation. C’est ce contrat qui acte les prochaines étapes de la privatisation, avec notamment 475 postes supprimés d’ici 5 ans (soit 95 chaque année).
Seuls, le Ministère de l’Agriculture, le Ministère des Finances et la direction de l’ONF (qui est nommée par le gouvernement) ont voté en faveur de ce contrat. Par contre, la Fédération Nationale du Bois, la Fédération Nationale des Communes Forestières, les syndicats de l’ONF et les associations de protection de l’environnement ont voté contre ce contrat.
Les syndicats de l’Office National des Forêts, et en particulier le Snupfen, syndicat majoritaire de l’ONF, multiplient les actions et les manifestations pour dénoncer ces suppressions de poste. Le 17 décembre 2020, nous avons occupé ensemble la direction de l’ONF à Nancy pour ouvrir un débat public sur ce sujet. Notre pétition commune a recueilli plus de 134 000 soutiens. Le 25 novembre 2021, nous étions à leurs côtés pour manifester devant Bercy.
Les communes qui possèdent des forêts sont également directement impactées par la crise de l’ONF. Dans les Vosges, par exemple, les fermetures de bureaux locaux se multiplient : les liens entre les maires, les citoyens et les agents de l’ONF s’étiolent alors que la forêt est une ressource économique très importante pour ces communes. Pire, dans le contrat État-ONF voté en juillet 2021, l’État a fixé une augmentation de la participation financière des communes à hauteur de 27 millions d’euros. Un service public de moins bonne qualité et plus cher, vous signez ? Face à la bronca des élus locaux, le Ministre de l’Agriculture a été contraint de faire marche arrière lors du salon des Maires en novembre 2021 et d’annoncer la suppression de cette contribution supplémentaire.
La question de l’équilibre budgétaire de l’ONF reste entière. Historiquement, le modèle économique de l’ONF repose sur l’idée que la vente de bois finance les autres missions. Un modèle à bout de souffle : face aux premiers effets des changements climatiques, à la nécessité de restaurer la biodiversité et de prendre en compte de nouvelles attentes sociétales, il est indispensable que ces missions d’intérêt général soient financées par un budget dédié qui ne dépendent pas des ventes de bois.