Question

Quelles sont les conséquences de la déforestation ?

En 5 ans, l'équivalent de la surface de la France a été déforesté dans le monde. Quel impact cela a-t-il sur nos écosystèmes et au-delà ? Éléments de réponses.
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Question

Quelles sont les conséquences de la déforestation ?

En 5 ans, l'équivalent de la surface de la France a été déforesté dans le monde. Quel impact cela a-t-il sur nos écosystèmes et au-delà ? Éléments de réponses.

Destruction des écosystèmes, dégradation de la biodiversité, libération de carbone, dérèglement du cycle de l’eau, prolifération de maladies, répercussions sociales… La déforestation entraîne des conséquences en cascade : tour d’horizon.

Chaque année, près de 10 millions d’hectares de forêts sont déforestés dans le monde (d’après la définition de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture). C’est l’équivalent de la surface de la France qui a été perdue en 5 ans. Cela entraîne une destruction des écosystèmes, qui participe au phénomène de fragmentation et de disparition des habitats naturels, et à la perte des services écosystémiques fournis par les forêts.

Érosion de biodiversité

Les forêts abritent 80% de la biodiversité terrestre et les deux tiers de celle-ci sont concentrés dans les forêts tropicales. Mais les perspectives pour les forêts tropicales et leur biodiversité sont inquiétantes. Environ 11,1 millions d’hectares de forêts ont été perdus[1] dans les régions tropicales en 2021. Ceci entraîne la disparition ou la fragmentation de l’habitat des nombreuses espèces qu’elles abritent. Un problème majeur puisque lorsque celles-ci perdent leur lieu de vie, elles sont souvent incapables de survivre. En outre, elles deviennent plus accessibles aux braconniers.

Il y a cependant des variations notables dans la perte de biodiversité entre les différents types d’organismes. En compilant et analysant un ensemble de données sur près de 900 espèces tropicales en forêts primaires et zones de forêts converties à un autre usage, une étude montre que les réductions de la diversité des espèces suite à la dégradation complète ou déforestation sont par exemple inférieures à 10% chez les moustiques et supérieures à 50% chez les fourmis et lézards.

Au niveau mondial, les pays comprenant le plus d’espèces menacées (recensées par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) sont le Mexique, l’Indonésie et Madagascar. Au Mexique, on trouve par exemple le ara rouge, une espèce rare dans la plupart des pays d’Amérique centrale et déjà éteinte au Salvador. Le papillon monarque est aussi menacé par la déforestation de sa forêt d’hivernage.

L’Indonésie, qui possède la troisième plus importante forêt tropicale de la planète derrière le Brésil et le bassin du Congo, abrite aussi de nombreuses espèces menacées. L’orang outan de Sumatra reconnaissable à son pelage orange est spécifiquement adapté à la vie en forêt. À cause de la déforestation, il a été classé “en danger critique d’extinction” par l’Union Internationale de Conservation de la Nature. Les tigres de Sumatra sont aussi une des espèces les plus menacées. D’après les estimations, sa population restante est estimée à seulement 400 individus adultes. Le rhinocéros de Java, une espèce rare, est lui aussi en voie de disparition. À cause de la destruction de leurs forêts et du braconnage, il ne reste plus que 35 à 44 spécimens.

La forêt amazonienne est riche de 40 000 plantes et plus de 4 000 espèces animales. Le jaguar figure parmi les animaux les plus emblématiques menacés par la destruction : d’après une étude sur la période de 2016-2019, plus de 1 400 jaguars ont été déplacés ou tués. De plus, avec la modification de l’équilibre naturel de leur habitat, ils manquent désormais de proies. Le félin doit alors trouver de nouvelles sources de nourriture et s’attaque au bétail, ce qui crée des conflits avec les populations locales.

En Australie, la destruction des espaces forestiers situés sur les bassins versants de la Grande Barrière de Corail entraîne un ruissellement des sédiments et engrais dans le récif. Ceci stimule la croissance de phytoplancton, limite la lumière, et étouffe ainsi les coraux. La déforestation menace aussi le koala. La quasi-totalité des spécimens vit dans le Queensland et le New South Wales, les régions les plus affectées par la déforestation. Il a été classé il y a quelques années parmi les espèces “vulnérables”.

Le léopard de l’Amour, fleuve situé entre la Sibérie et la Chine, est le félin le plus menacé à l’échelle mondiale. Depuis 1996, l’UICN (Union Internationale de Conservation de la Nature) classe cette espèce comme en danger critique d’extinction. Il a d’ores et déjà perdu 90% de son habitat à cause de la déforestation.

Modification du climat

Un des effets de la déforestation est la libération du carbone contenu dans les forêts. En effet, les arbres stockent du carbone grâce à la photosynthèse : les feuilles absorbent le CO2 de l’atmosphère, qui reste stocké dans le sol, le tronc, les branches et les feuilles. Selon une étude publiée en 2011 de Yude Pan et al., le stock de carbone contenu dans les forêts de la planète représente 860 GtC, ce qui en fait le deuxième puit de carbone mondial. Et plus les arbres qui les constituent sont anciens et de grande taille, plus ce stock sera important.

Les forêts tropicales abritent plus du quart de carbone terrestre et plus de la moitié du carbone stocké dans les forêts. Lorsqu’elles sont détruites, le carbone stocké est relâché dans l’atmosphère. Une estimation montre que les émissions de dioxyde de carbone associées à la déforestation représenteraient près de 6 GtC par an, soit 20% des émissions de CO2 mondiales. La lutte contre la déforestation est donc essentielle pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et le changement climatique.

De plus, les arbres permettent de réguler les températures : ils fournissent de l’ombre et, par évapotranspiration, refroidissent l’environnement. Dans la partie Ouest de l’Amazonie, par exemple, l’expansion des pâturages et des champs de soja entraîne une augmentation de la température jusqu’à +4°C. En Indonésie, Malaisie et Papouasie Nouvelle Guinée, une étude a montré que la déforestation peut entraîner une hausse des températures de +4,5°C.  En Indonésie, au Brésil et au Congo, la déforestation pourrait expliquer 75% de la hausse des températures. Celle-ci entraîne déjà une hausse de la mortalité de 8% en Indonésie. La hausse des températures et les sécheresses engendrent aussi une rétroaction positive : celles-ci fragilisent les forêts et entraînent une hausse de la probabilité d’incendies ; cela va potentiellement libérer plus de CO2, et alimenter ainsi le changement climatique.

Mais la déforestation peut aussi avoir des conséquences sur le climat dans d’autres régions. La perte de l’Amazonie entraîne même une réduction des neiges du Tibet et de la glace en Antarctique. En effet, l’air du centre de l’Amérique du Sud est transporté sur plus de 20 000 km jusqu’au Tibet. Le vent ou les courants océaniques peuvent transporter de la poussière ou de la cendre issus des feux de forêts. Ces particules réduiraient l’effet d’albedo de la neige et entraîneraient alors le réchauffement de l’atmosphère au-dessus du Tibet.

Perturbation du cycle de l’eau

Bien plus qu’un simple puits de carbone, les arbres jouent aussi un rôle crucial dans le cycle de l’eau. Ils aident tout d’abord à capter l’eau de pluie : par leurs racines, ils permettent à l’eau de s’infiltrer dans le sol et d’alimenter les nappes phréatiques. Ils vont de plus produire une évapotranspiration de l’eau reçue. La végétation joue aussi un rôle essentiel de filtration de l’eau, et limite le ruissellement de sédiments et polluants.

L’exemple du rôle de l’Amazonie dans le cycle de l’eau est particulièrement marquant : ses arbres pompent chaque jour des milliards de tonnes de vapeur d’eau via la transpiration et l’évaporation. Ils créent ainsi l’humidité nécessaire à la formation de nuages, appelés rivières volantes. Elles se déplacent alors vers le Sud et le Sud-Est du Brésil, où cette humidité ré-alimente la forêt sous forme de précipitations. Mais la perte de la couverture arborée produit une perturbation de ce processus d’évapotranspiration. La forêt, de plus en plus sèche, risquerait de ne plus produire assez d’humidité et finirait par se transformer en savane.

La déforestation au Cerrado est, elle, une menace pour les ressources en eau. D’après MapBiomas, la région a déjà perdu près de la moitié de sa surface. Or cette région est particulièrement importante. Huit des bassins versants du Brésil naissent au Cerrado, aussi surnommé “le berceau des eaux”. Sa végétation naturelle, en particulier les herbes, a des racines profondes qui retiennent l’eau. Mais lorsque celle-ci est remplacée par des cultures, ce stockage de l’eau est perturbé. Parallèlement, l’irrigation, qui est de plus en plus introduite dans la région, accentue la pression sur cette ressource.

La déforestation peut aussi entraîner une salinisation des sols, comme dans le Chaco sud-américain. Sous ses forêts, la percolation profonde de l’eau et la recharge des eaux souterraines sont faibles. Par conséquent, les sels peuvent s’accumuler dans le manteau du sol. En remplaçant la végétation indigène par des cultures agricoles, la percolation profonde de l’eau augmente. Cela produit une élévation progressive de la nappe phréatique et avec elle une augmentation de la salinisation.

Conflits

La déforestation, à travers la hausse des températures et la pression sur les ressources en eau qu’elle génère, peut aussi mener à des conflits, comme au Darfour ou au Tchad.

Le bassin du lac Tchad est une grande région située dans le continent africain, entre le Tchad, le Cameroun, le Niger et le Nigeria. Cette grande réserve d’eau est en train de s’assécher : sa surface s’est réduite de 25 000 km2 à 1 500 km2 au cours des dernières décennies. Une des causes de cet assèchement est la déforestation, notamment au Cameroun, Nigeria et Niger, qui contribue à un climat plus sec et favorise l’évaporation de l’eau du lac. Celle-ci s’explique par deux causes principales : la coupe de bois pour l’énergie, et l’expansion agricole. L’assèchement du lac a vu la qualité des terres environnantes se dégrader, et a entraîné le déplacement des populations, qui ont suivi l’eau pour pouvoir maintenir une activité de pêche. Cela a entraîné des conflits entre les éleveurs et les fermiers. La zone est depuis 2009 devenue le foyer d’action du groupe terroriste Boko Haram.

Le Darfour a perdu un tiers de son couvert forestier entre 1973 et 2006, pour répondre aux besoins d’une population grandissante en bois de chauffage, de pâture aux animaux et de terres agricoles. Cela a modifié le climat localement. Le Soudan a vu la limite entre désert et zone semi-désertique se déplacer. Les précipitations ont régulièrement décliné, en particulier dans le Nord. Tout cela a créé les conditions des conflits qui ont été lancés puis entretenus par des différences ethniques. Ce conflit a entraîné, depuis 2003, la mort de centaines de milliers de personnes et des millions de déplacés.

Violation des droits humains

La déforestation a aussi directement un impact sur les hommes qui habitent ces forêts. Dans de nombreux pays, les lois ne permettent pas de faire respecter leurs droits fonciers, souvent basés sur un système coutumier. Ne pouvant justifier de la propriété de leurs terres, ils peuvent en être dépossédés.

La résistance des communautés à l’accaparement de leurs terres par l’agro-industrie et les entreprises d’exploitation forestière entraîne souvent en réponse des violences, menaces, voire assassinats. Une recherche montre que sur la dernière décennie, 1700 défenseurs de l’environnement ont été tués. Les droits au consentement préalable libre et éclairé sont aussi rarement respectés. Si des informations sont fournies aux communautés, elles sont souvent incomplètes et biaisées.

L’accaparement des terres communautaires prive en outre les populations locales des ressources nécessaires à leur consommation de nourriture et de plantes médicinales, ce qui entraîne souvent leur appauvrissement et leur malnutrition.

Ces terres et leurs ressources peuvent aussi avoir une importance culturelle. Le Moabi, par exemple, a une valeur symbolique très forte. Les Bantous et les Baka lui attribuent des pouvoirs magiques et mystiques. Mais l’abattage pour son bois est devenu si courant que la survie de cet arbre est menacée.

Au Cambodge, l’exploitation forestière menace la sécurité alimentaire, l’identité culturelle et spirituelle de peuples autochtones. Les communautés Kuy dépendent souvent de la consommation de fruits et de la récolte de résine des forêts de Prey Lang et Prey Preah Roka au Nord du pays. Pour eux, ces forêts aussi occupées par des esprits sont des lieux de cultes, et abritent leurs cimetières. Mais elles sont maintenant dégradées, difficiles d’accès et menacées de destruction.

Exposition accrue aux maladies

La déforestation favorise aussi l’émergence et la prolifération de maladies.

En Afrique par exemple, les chauves-souris ont vu leurs habitats naturels perturbés à cause de la déforestation. Ne trouvant plus de fruits pour se nourrir, certaines chauves-souris vecteurs du virus d’Ebola se sont rapprochées des hommes. En Indonésie et en Malaisie, la migration des chauves-souris fruitières causée par la déforestation a elle entraîné la propagation du virus Nipah.

À travers une augmentation de la population de moustiques, la déforestation favorise aussi la propagation du paludisme. L’exploitation minière, par la création de fosses, multiplie les habitats de reproduction des moustiques. La conversion de forêts en terres agricoles et l’exploitation de bois, eux, entraîne une augmentation du niveau des rayonnements du soleil, et donc une augmentation de la population de moustiques.

L’exploitation de l’or et la déforestation qui en découle font aussi proliférer des bactéries dévoreuses de chair, responsables de l’ulcère de Buruli. Une étude a montré que les changements importants dans la composition des communautés d’espèces et la grave perturbation de la chaîne alimentaire causés par la déforestation favorisent le développement de cette bactérie. À cela s’ajoute l’accumulation de métaux lourds dans les sédiments des rivières générés par l’exploitation minière, eux aussi favorables à sa prolifération.

Source de la déforestation
La cuirasse latéritique est un milieu très hostile, des zones mises à nu par le feu ou l’exploitation minière où la végétation n’arrive à reprendre le dessus © Facebook X-Graines

Baisse de la fertilité et érosion des sols

La déforestation fragilise aussi les sols. En effet, la présence d’une forêt sur un terrain tend à le protéger des intempéries. Avec la perte de végétation naturelle, le sol est plus exposé au vent, et les pluies qui tombent sur un terrain déboisé ruissèlent au lieu d’être absorbées. Les minéraux sont alors lessivés et le sol s’appauvrit. Dans la savane brésilienne par exemple, l’érosion des sols associée au changement d’affectation des terres est de plus de 12 tonnes par hectare et par an.

La majorité des sols tropicaux étant très pauvres en éléments minéraux, ils deviennent très vite infertiles une fois déforestés. En favorisant l’assèchement des sols, la déforestation contribue aussi à accélérer la formation de cuirasses latéritiques. Cette roche assez tendre durcit en séchant et devient alors infertile.

De plus, dans les zones sensibles, la perte de protection des arbres contre les pluies violentes peut favoriser un accroissement de la fréquence des inondations.

[1] La comptabilisation du Global Forest Watch et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture diffèrent, ce qui explique la différence entre les chiffres avancés. Pour plus de détail voir: lien article