Question

Après un incendie, faut-il couper et évacuer les arbres ?

Après un incendie, les travaux d’exploitation des bois brûlés sont souvent très rapidement réalisés : faut-il couper et évacuer les arbres ?
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Après un incendie, faut-il couper et évacuer les arbres ?

Après un incendie, les travaux d’exploitation des bois brûlés sont souvent très rapidement réalisés : faut-il couper et évacuer les arbres ?

Après une perturbation telle qu’un incendie, quels sont les effets de l’exploitation des bois brûlés ? Faut-il couper les arbres ? Les évacuer ? Il semble que les études menées à ce propos le déconseillent.

 
Après un incendie, les travaux d’exploitation des bois brûlés sont souvent très rapidement réalisés, comme cela a été le cas en Gironde où les travaux ont commencé dès la fin de l’été, à peine quelques mois après les feux. Ces travaux couvrent alors des surfaces importantes, dépassant largement la taille des parcelles habituellement exploitées. Les principales motivations sont économiques, afin de tirer profit du bois avant que sa dégradation ne réduise sa qualité. L’accumulation de biomasse morte peut aussi générer la peur d’augmenter le combustible en cas d’un nouveau feu. À cela s’ajoute l’effet de réaction à la catastrophe, et le désir de gommer celle-ci du paysage.

Pourtant, les auteurs d’une étude publiée dans la revue Frontiers in Ecology and the Environment (Leverkus et al., 2020) ont remarqué qu’il n’existait aucune analyse complète des effets de l’exploitation après une perturbation (incendie, tempête ou attaque d’insectes) sur les services écosystémiques et sur les charges de combustibles en résultant. Ils ont donc réalisé une méta-analyse de 90 publications à travers le monde. Leurs résultats montrent que l’exploitation après perturbation a un effet négatif sur certains services écosystémiques tels que les conditions hydriques et la qualité des sols. Cette exploitation affecte également la charge de combustible par l’augmentation de petits débris (petites branches, feuilles et aiguilles) à court terme. Elle conclut qu’après une perturbation, retarder l’abattage des arbres de 2 à 4 ans peut réduire les impacts écologiques négatifs sans affecter les charges de combustible.

De plus, tous les arbres ne meurent pas forcément immédiatement après l’incendie et conserver ceux encore vivants a de multiples avantages. L’enlèvement des souches est quant à elle une opération très coûteuse pour l’avenir des sols et de la forêt, qui doit être abandonnée. Explications.

 

Tous les arbres meurent-ils lors d’un incendie ?

La mortalité des arbres après un feu dépend de l’intensité du feu, des conditions qui vont suivre le feu, et de la capacité de résistance des arbres au feu.

Ainsi, les auteurs de l’ouvrage collectif des éditions Quae (Curt et al., 2022) expliquent que “Plus le feu qui brûle la végétation basse est puissant, plus l’ascension des gaz et de l’air chaud au-dessus du foyer est rapide, et plus les cimes des arbres s’échauffent. Si cet échauffement ne conduit pas forcément à l’inflammation, il peut facilement détruire les tissus des feuilles vertes, qui roussiront après le passage du feu. Lorsqu’une large fraction des feuilles de l’arbre est roussie, l’arbre dépérit et, dans le pire des cas, meurt”. Ainsi, les arbres peuvent mourir sans avoir entièrement brûlé. Selon l’article paru dans la revue Forêt Méditerranéenne (Pimont et al.,2014), cette mortalité est différée dans le temps, intervenant généralement dans les 2 années suivant le feu, avec une stabilisation au bout de 3 à 5 ans. La mortalité est augmentée en cas de sécheresse consécutive.

Les espèces d’arbres peuvent mettre en place différentes stratégies leur permettant soit de survivre au feu soit de se régénérer (voir page 44, partie 6.3) : certains feuillus rejettent de souche (comme le chêne vert, le chêne kermès, le chêne-liège), certaines espèces ont une écorce qui les protègent du feu (comme le chêne-liège, le pin pignon, et dans une moindre mesure les pins noirs, sylvestre et maritime), et certains produisent des graines qui survivent à l’incendie (comme le pin d’Alep et le pin maritime). Toutefois pour que ces stratégies se mettent en place, encore faut-il que les individus soient suffisamment âgés, soit pour que leur écorce épaississe, soit pour qu’ils aient atteint leur maturité sexuelle (et donc la capacité de produire des graines).

Il faut donc se laisser du temps avant d’intervenir prématurément, afin de voir ce qui repart, ce qui rejette de souche, ce qui fructifie. Des cloisonnements de 3 à 4 mètres de largeur peuvent cependant être ouverts tous les 18 à 20 mètres afin de faciliter le travail ultérieur.

Très rapidement après les incendies de l’été 2022 en Gironde, l’UMR BIOGECO, l’Unité mixte de Recherche BIOdiversité GÈnes et COmmunautés, regroupant des chercheurs de l’INRAE, de l’université de Bordeaux, du CIRAD et du DSF, a publié une clé de détermination de la survie des arbres à destination des sylviculteurs et exploitants forestiers qui réalisaient des coupes dans l’urgence. A l’aide de la technique d’épi fluorescence, ces chercheurs ont déterminé les seuils de dégâts qui conduisent à la mort des arbres dans les mois suivant l’incendie alors que le houppier ne montre pas de signe de dépérissement. Leurs résultats sont que les arbres ayant subi des feux de sols ou des dégâts de houppier supérieur à 80% ont de faibles chances de survie.
 
estimation de la survie du pin maritime apres incendie
 
Malheureusement, ces recommandations ont été très peu suivies : les travaux engagés ont rarement fait de différence entre arbres morts ou vivants, notamment sur la zone du feu de Landiras, et tout a été exploité, les propriétaires faisant le choix d’une rentabilité à court terme.

 

Pourquoi conserver des arbres après un feu ?

Au contraire de la coupe rase immédiatement après incendie, conserver des arbres c’est faire le choix d’une valorisation sur le long terme.

Premièrement, conserver des arbres adultes permet une régénération naturelle du peuplement. Les arbres survivants au feu ont de plus un bon phénotype, qu’il pourront ainsi transmettre à la génération suivante. Leur maintien permet aussi qu’ils servent d’abri à la régénération : garder un certain couvert maintient une ambiance forestière favorable, en procurant de l’ombrage et en conservant mieux l’humidité en sous bois.

La régénération naturelle permet de s’affranchir de l’incertitude de résultat de plantation en plein. En effet, dans un contexte de réchauffement climatique et d’augmentation des épisodes extrêmes de sécheresse, la réussite des plantations n’est plus assurée : le taux d’échec de plantation (avec une mortalité supérieure à 20% des plants) a notamment connu des records en 2022, atteignant 38% en France métropolitaine, comme le constate le Département de la Santé des Forêts dans son bilan 2022 (voir aussi l’encadré page 65). Un enrichissement par placeaux de plantation pourra être envisagé à terme, mais pas avant au moins 3 ans après l’incendie, si la régénération naturelle est insuffisante. Enfin, la régénération naturelle permet de largement diminuer les coûts d’installation du peuplement. En effet, même si plusieurs dépressages sont nécessaires au départ, le coût global d’une régénération naturelle est bien moindre que celui d’une plantation en plein.

Deuxièmement, les arbres adultes sont plus résistants au passage d’un feu : les maintenir participe ainsi à rendre le peuplement moins sensible au passage d’un feu. De plus, leur couvert peut freiner l’explosion d’une végétation adventice très inflammable.

Troisièmement, laisser des arbres en place après un incendie a un effet bénéfique sur l’érosion des sols, particulièrement en montagne et en région méditerranéenne où les sols dénudés sont soumis à une érosion active. Une couverture végétale protège en effet le sol de l’érosion superficielle, et ce d’autant plus qu’elle est complète, dense et pluristratifiée, ainsi que le décrit un article paru dans la Revue Forestière Française (Vennetier et al., 2014). Les auteurs citent des pertes de sol 30 à 100 fois supérieures dans l’année suivant un feu et indiquent qu’elles restent fortes pendant un à deux ans après.

Quatrièmement, partir de l’existant après un feu peut permettre au futur peuplement de bénéficier d’un mélange d’essences naturellement adapté aux conditions locales, qui sera la meilleure façon de faire face aux risques d’incendies, mais aussi de sécheresse, de tempête et d’attaques de pathogènes (voir page 51 partie 8.1)

Cinquièmement, l’effet paysager est aujourd’hui à considérer. Un incendie peut constituer un traumatisme qui ne doit pas être effacé en faisant table rase de l’existant. Les effets de l’incendie sur le paysage sont d’ailleurs rapidement atténués par la repousse de la végétation l’année suivante. Le maintien des arbres épargnés par le feu concourt ainsi à maintenir la qualité des paysages.

Pour terminer, des impératifs sanitaires avérés, comme des attaques de scolytes (voir l’encadré ci-dessous), pourraient justifier la coupe localisée et l’évacuation rapide des bois. Malheureusement, suite à l’incendie de 2022 en Gironde, et notamment sur la zone des feux de Landiras, la peur des attaques a souvent servi à justifier des coupes rases sur d’immenses surfaces.

 


Qu’est-ce que le risque d’attaque de scolytes ?

Les scolytes représentent une famille d’insectes ravageurs de faiblesse, dont beaucoup sont spécifiques d’une essence : par exemple, le typographe et le chalcographe pour l’épicéa, le curvidenté pour le sapin, et le sténographe pour le pin sylvestre et le pin maritime.

Depuis 2018, la succession d’étés exceptionnellement chauds et secs a entraîné une prolifération de scolytes, notamment dans les forêts d’épicéa dans le nord-est de la France.

Cette même année, le Département Santé des Forêts a publié un document intitulé Lutte contre le sténographe, dans lequel il est indiqué que l’action curative est l’abattage des arbres scolytés dans un délai très bref, ainsi que le transport des grumes hors-forêt à une distance d’au moins 5 km des massifs. Il est ainsi clairement recommandé de ne pas mettre de bois frais à disposition des insectes. Les symptômes de présence du sténographe sont des trous de pénétration circulaires inférieurs à 3 mm, des écoulements de résine et surtout la présence de sciure brune sur l’écorce et de galeries sous l’écorce.

Le DSF dans sa lettre n°59 de mars 2023 prévient que l’affaiblissement des peuplements du fait des incendies risque de faire émerger des pullulations de scolytes. Toutefois, la Direction Régionale de l’Alimentation de l’Agriculture et de la Forêt Nouvelle-Aquitaine a publié le 24 octobre 2022 ses recommandations dans un Message d’information – Gestion sanitaire post-incendies. Les interventions préconisées nécessitent des diagnostics fins, arbre par arbre. En l’absence de signes d’attaque, c’est bien le maintien des arbres qui est préconisé, ainsi que le maintien de la surveillance sanitaire. Au printemps, l’enlèvement des tous les bois coupés est demandé avant le mois de juin.


 

Pourquoi ne faut-il pas arracher les souches des arbres lors d’une exploitation ?

L’arrachage des souches est une opération qui n’a pas lieu partout en France, mais qui s’est développée depuis la tempête de 2009 dans le massif des Landes de Gascogne : au moment de la coupe rase, ce ne sont plus seulement les grumes (les troncs des arbres) qui sont sorties, mais également les souches des arbres exploités et les rémanents (branchages). Cela peut même être proposé “gracieusement” au propriétaire de la parcelle. Le but de ces récoltes est double : d’une part ravitailler la chaudière Dalkia qui alimente en énergie l’usine de pâte à papier Smurfit Kappa et d’autre part de “faciliter” la plantation, ainsi que l’a présenté l’entreprise au cours d’un colloque du Comité Interprofessionnel du Bois-Energie (CIBE) en 2011. Pourtant, il s’agit d’une pratique de sylviculture intensive, sans aucun respect du milieu naturel, patrimoine du propriétaire, et qui sous couvert de remplacer l’usage de combustibles fossiles, est également émettrice de gaz à effet de serre. C’est ce qui est appelé l’effet rebond, quand les économies engendrées par une technologie sont réduites ou annulées par l’augmentation de son utilisation.

Suite à un incendie, comme lors de coupes rases à l’âge d’exploitabilité, cette pratique est problématique pour plusieurs raisons.

La première est l’export de matière organique et minérale que représente l’arrachage des souches. Une analyse publiée dans l’International Journal of Wildland Fire (Marañón-Jiménez et al., 2012) montre ainsi que le bois brûlé en forêt méditerranéenne restant après un incendie renferme 2 à 9 fois plus de nutriments que le sol lui-même. La décomposition lente du bois dans le sol permet la redistribution petit à petit de ces nutriments, qui seront utiles à la prochaine génération d’arbres. Les sols du massif landais étant très superficiels, c’est un appauvrissement d’autant plus important.

Les passages d’engins lourds, pour d’abord arracher puis récupérer les souches, provoquent ensuite des tassements de sols, dévastant sa structure. C’est aussi faire le sacrifice d’un réservoir d’humidité du sol, chaque souche se comportant comme une éponge et relâchant progressivement l’humidité qu’elle contient (voir aussi page 38 le rôle du bois mort). Et cet export a d’autant plus de conséquence que les sols sableux du massif ont une faible capacité de rétention d’eau.

La seconde est que brûler des souches n’a rien d’une pratique vertueuse pour l’environnement : le dioxyde de carbone qui aurait été pour partie stocké dans les sols, et pour partie libéré en une dizaine d’années au cours de sa décomposition, est immédiatement relâché dans l’atmosphère par le brûlage.

La troisième est que cette opération, en retournant les sols sur une profondeur importante, compromet fortement la régénération naturelle des peuplements, opération la moins coûteuse pour le propriétaire mais aussi la moins rémunératrice pour le gestionnaire.

Une telle pratique qui appauvrit les sols, compromet la régénération des peuplements et émet des gaz à effet de serre n’a pas sa place en France, ni après incendie, ni lors de l’exploitation de coupe définitive.