Après un incendie, faut-il replanter ?
Après un incendie, faut-il replanter ?
Planter des arbres pour reboiser après un incendie a souvent bonne presse. Mais n'est-ce pas une stratégie contre-productive ?
Avec plus de 70 000 hectares de forêt brûlée, l’été 2022 a marqué le retour des grands incendies en France. Un risque qui va croître avec les changements climatiques et qui devrait nous inciter à repenser en profondeur notre politique forestière : l’urgence est-elle de reboiser ?
L’annonce d’un grand chantier national de reboisement pourrait produire l’effet inverse et affaiblir encore davantage nos forêts en cédant au lobbying d’une partie de la filière.
L’empressement à vouloir planter des arbres est, avant tout, une stratégie de communication destinée à rassurer l’opinion publique en donnant l’illusion d’une maîtrise de la situation et d’un retour à la normale rapide. Mais c’est aussi l’aveu d’une profonde incompréhension de la part de la puissance publique des enjeux forestiers, car planter des arbres n’est pas toujours le choix le plus avisé. Surtout après un incendie, il est le plus souvent préférable de laisser la forêt se régénérer naturellement. Une option plus efficace et moins coûteuse dans de nombreuses situations.
De plus, les plantations d’arbres sont encore trop souvent monospécifiques ou très faiblement diversifiées ce qui est pourtant indispensable pour renforcer la résistance et la résilience des peuplements face à de nombreux aléas comme les sécheresses, les tempêtes, les maladies ou encore les incendies. Même sur des sols très pauvres comme ceux du massif des Landes de Gascogne où il est difficile de se passer du pin maritime, il est toujours possible d’introduire en mélange des feuillus comme le chêne pédonculé, le chêne-liège ou le chêne tauzin, pour renforcer les peuplements.
L’intérêt du mélange est solidement étayé scientifiquement et pourtant, il peine à s’imposer comme une condition aux aides publiques ou comme une règle à respecter dans les plans de gestion. Après la tempête de 2009 dans les Landes, la quasi-totalité du massif appartenant à des propriétaires privés a été replantée en monoculture avec l’aide d’argent public. Le constat est similaire pour les aides plus récentes du plan de relance qui, faute d’éco-conditions suffisantes, ont été détournées par une partie des acteurs pour planter des monocultures, parfois en remplacement de forêts en bonne santé mais jugées peu rentables économiquement. Pour plus d’informations à ce sujet, voir le rapport de Canopée Planté ! Le bilan caché du plan de relance forestier.
Ces dérives ne sont pas le fruit du hasard mais le résultat de l’abandon des pouvoirs publics à construire une politique forestière intégrant l’ensemble des enjeux.
Tiraillée entre quatre ministères, la forêt ne bénéficie pas d’un portage politique fort capable de défendre et de trancher en faveur de l’intérêt général. Elle est laissée au seul jeu d’influence des acteurs, la règle au sein de la filière étant de ne surtout pas pointer du doigt les dérives de certains. À ce jeu d’influence, la filière bois landaise est passée maître. Alors qu’elle représente une exception dans le paysage forestier, cette filière s’oppose à toute forme de renforcement des règles de gestion forestière alors même que la majorité des acteurs n’y serait pas opposée, voire y serait favorable. Un exemple : les règles encadrant la gestion des forêts privées (Schémas Régionaux de gestion Sylvicole) sont en cours de révision dans l’ensemble des régions françaises.
Si globalement, les projets soumis à consultation du public sont peu ambitieux, celui de la région Nouvelle-Aquitaine est sans doute le plus révélateur du désengagement de l’État : aucun seuil d’encadrement des coupes rases, aucune interdiction de transformer les dernières forêts de feuillus du massif landais en plantations de pins maritimes et aucune obligation de diversification dans les nouvelles plantations. Pire encore, la filière a réussi l’exploit de glisser l’eucalyptus dans la liste agréée des arbres pouvant être plantés et bénéficier d’aides publiques alors même que cet arbre est hautement inflammable comme le Portugal en a fait la désastreuse expérience.
Avant de réinjecter de nouveau de l’argent public dans un plan de reboisement, il est donc indispensable que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités pour mettre fin à ces dérives. L’organisation de la filière forêt bois doit être remise à plat pour mettre fin aux conflits d’intérêt. Il est non seulement illusoire mais aussi dangereux d’imaginer adapter la forêt au changement climatique en remplaçant les forêts existantes par de nouveaux arbres ou en s’empressant de vouloir replanter systématiquement après des tempêtes ou des incendies qui ne manqueront pas de se multiplier.
La priorité doit être de s’appuyer et de restaurer des dynamiques naturelles, de venir améliorer les peuplements existants en les enrichissant si besoin par des petites plantations en trouées et de fixer des règles claires lorsqu’une plantation sur une plus grande surface est nécessaire.