Les forêts non exploitées sont-elles plus ou moins sensibles aux incendies ?
Les forêts non exploitées sont-elles plus ou moins sensibles aux incendies ?
Suite à un incendie, la “non gestion” est souvent désignée comme la cause de celui-ci. Mais qu’en est-il réellement ?
La première question que l’on peut se poser est de savoir ce qu’est une forêt non exploitée : une forêt non exploitée est elle une forêt non gérée, pourquoi une forêt n’est-elle pas exploitée, ou encore quel statut peut-elle avoir ? En France, une forêt peut ne pas être exploitée par choix volontaire de son gestionnaire, qui peut alors consigner ce choix dans un document de gestion. Une forêt peut également ne pas être exploitée soit parce qu’elle est inaccessible, soit parce qu’elle est délaissée par son propriétaire.
Ces forêts, en conservant de vieux arbres jusqu’au stade de sénescence, offrent de nombreux avantages en termes de biodiversité mais également face aux incendies.
Aucun mode de gestion ne protège totalement nos forêts du feu, et les enjeux de conservation ne doivent pas être remis en cause par les enjeux de protection contre les incendies.
Qu’est-ce qu’une forêt non exploitée ?
En France métropolitaine, une forêt non exploitée est une forêt qui a pu être exploitée dans le passé mais ne l’est plus, et n’a plus vocation à l’être à l’avenir. Également nommées forêts en libre évolution, ces forêts se développent de façon naturelle, sans intervention humaine.
Cette non exploitation peut être involontaire : c’est le cas notamment dans les espaces inaccessibles sur de fortes pentes, ou lorsque le propriétaire délaisse cet espace.
La non exploitation peut être un état de fait ou provenir d’une décision volontaire des propriétaires et gestionnaires, privés comme publics, et alors être consignée dans des documents de gestion forestière (PSG, code de bonnes pratiques sylvicoles ou règlement type de gestion en forêt privée, aménagement en forêt publique).
Il n’existe toutefois aucun inventaire précis de la totalité des espaces laissés en libre évolution et de leur statut, notamment en forêt privée. L’estimation de la surface qu’ils représentent ainsi que leur répartition est donc difficile. Une étude publiée dans le journal Diversity and Distributions (Thomson et al., 2021) a cependant cherché à quantifier les surfaces couvertes en France métropolitaine par les forêts surmatures, c’est-à-dire restées sans travaux ni exploitation depuis au moins 50 ans. Cette étude estime que 3,1 % de la superficie forestière nationale n’a pas été exploitée depuis plus de 50 ans et que ces forêts se situent principalement dans les zones plus reculées et montagneuses du sud et de l’est de la France. Mais cette étude estime également qu‘une grande proportion (43%) de la forêt française n’a pas été exploitée depuis au moins 26 ans (et jusqu’à 50 ans), notamment en Corse, en Bretagne, et dans le centre-est de la France.
La pérennité de leur non exploitation est fragile : certaines propriétés peuvent ainsi ne pas être exploitées pendant plusieurs décennies, avant coupe rase à la faveur d’un changement de propriétaire par exemple.
Selon une étude publiée dans la Revue Forestière Française (Debaive et al., 2021), près de 41 000 ha de forêt bénéficient en France métropolitaine d’un statut de protection pérenne de type réserve intégrale, soit 0,24 % de la surface forestière (en outre-mer, 275 735 ha qui sont strictement protégés, soit 3,2 % de la surface forestière), parmi lesquelles on peut citer :
- Les Réserves Biologiques Intégrales (RBI) : situées exclusivement en forêt domaniale, elles sont au nombre de 72 et couvrent près de 29 000 ha, auxquelles s’ajoutent les îlots de sénescence (ILS) de quelques hectares chacun, mis en place par l’ONF. En métropole, en une vingtaine d’années, le développement du réseau des RBI a ainsi permis de couvrir 90 % des habitats forestiers d’intérêt communautaire.
- Les Réserves Intégrales (RI) : ce sont les espaces interdisant l’exploitation forestière en zone centrale de Parc National (PN). Cette surface ne représente que 4% de la surface totale des coeurs de parcs nationaux, et il en existe dans 4 parcs (sur 11 parcs nationaux) : 689 ha dans la RI de Bagaud dans le PN des Ecrins depuis 1995, 61 ha dans la RI de Lauvitel dans le PN de Port-Cros depuis 2007, environ 500 ha dans la RI de Roche Grande dans le PN du Mercantour depuis 2021, et 3 083 ha dans le PN de forêts depuis 2021.
- Certaines Réserves Naturelles, sur environ 1 600 ha (hors cas de superposition avec des RBI).
D’autre statuts prennent, sur une durée limitée, un engagement de non gestion par le biais de mesures contractuelles, comme les îlots préservés durant 30 ans en zone Natura 2000, ou encore le réseau FRENE pour FoRêt en Évolution NaturellE, un réseau d’engagement volontaire de propriétaires privés et publics de peuplements en libre évolution en région Auvergne Rhône-Alpes.
Dans les forêts non-exploitées, la conservation de la biodiversité est priorisée par rapport aux autres fonctions de la gestion forestière que sont la production, l’accueil du public et la protection contre les risques, y compris contre les incendies. Toutefois, les abords des pistes DFCI traversant ces forêts sont entretenus, et en raison de la disparition des grands prédateurs, la chasse reste autorisée sur la grande majorité de ces surfaces.
Le rôle des forêts non exploitées est de protéger les phases de maturité et de sénescence des arbres qui sont abrégées par la sylviculture lorsqu’elles sont gérées. Elles préservent ainsi de vieux arbres sous forme de gros bois et de très gros bois, des arbres sénescents et des bois morts sur pied et au sol, ainsi que leurs cortèges faunistiques et floristiques spécifiques.
Quels sont les avantages des forêts non exploitées face au feu ?
La non-gestion est souvent mise en cause dans les grands incendies, comme ce fut le cas lors de l’incendie de Gonfaron en 2021 et celui de la Teste de Buch en 2022, même si ces forêts ne sont pas, à proprement parler, des forêts non-gérées. Le déficit de travaux est un coupable facile. Pourtant, l’absence d’exploitation peut avoir certains effets bénéfiques face aux incendies.
→ Le premier bénéfice que l’on peut citer est l’effet de l’importante proportion de gros bois mort dans ces forêts. L’étude publiée dans la revue Forests (Klamerus-Iwan et al., 2020) rappelle que dans les forêts naturelles polonaises de la réserve intégrale de Bialowieza, le volume de bois mort atteint 80 à 120m3/ha en moyenne. Une étude publiée dans l’European Journal of Forest Research (Müller and Bütler, 2010) donne un aperçu des valeurs seuils pour des espèces inféodées au bois mort. Si la plupart des espèces peuvent survivre à partir d’un volume de 20 à 50m3/ha, chiffres qui peuvent constituer des valeurs cibles en forêt de production, ces valeurs sont insuffisantes pour la conservation d’espèces plus rares et plus exigeantes qui peuvent nécessiter plus de 100m3/ha.
Il a été vu précédemment que selon les données de l’IGN concernant le bois mort dans les forêts françaises issues de l’inventaire 2013-2017, le bois mort sur pied et au sol constitue 12% du volume de bois total, avec 7m3/ha sur pied et 16m3/ha au sol (le volume de bois vif s’élevant à 171m3/ha en moyenne en France). Et d’une part cette répartition est très hétérogène sur le territoire, avec des maximums en zones montagneuses où l’exploitation des bois est difficile et coûteuse. D’autre part, la moitié du volume de bois mort est constituée par des bois de diamètre inférieurs à 12,5 cm et seul 6% de ce volume provient de bois de plus de 32,5 cm de diamètre : le bois mort comptabilisé par l’IGN provient ainsi beaucoup plus de dépérissements liés à des maladies ou à des événements naturels (tempêtes, incendies, foudre, glissement de terrain,…) qu’au vieillissement des arbres. Or, dans les forêts non exploitées, le plus gros du volume de bois mort provient des gros et très gros bois. La décomposition du bois mort génère de l’humidité, et la présence de gros bois mort agit comme un réservoir d’humidité important, retenant l’eau comme une éponge.
Et comme vu plus haut, un article publié dans la revue The Conversation (Castro, 2022) explique pourquoi enlever le bois mort nuit à la forêt. Le bois mort restitue lentement au sol des nutriments et la matière organique qu’il contient, et ces éléments pourront être utilisés par les arbres en place. Il crée aussi une barrière physique pouvant protéger la régénération des herbivores. Constituant une grande variété de micro-habitats qui abritent de nombreux organismes, champignons et insectes, il est à la base de la biodiversité des forêts. Ce n’est pas un déchet et son élimination généralisée n’est pas justifiée en dehors des zones les plus fréquentées. En effet, son enlèvement peut notamment générer des matériaux (copeaux, brindilles) inflammables. Le risque de voir pulluler des insectes xylophages n’est pas non plus justifié si ceux-ci se nourrissent sur des arbres vivants affaiblis.
L’étude publiée dans la revue Forests (Klamerus-Iwan et al., 2020) a confirmé que le bois mort peut être un réservoir d’eau important dans les forêts. Un seul tronc de bois mort couché a la capacité de stocker jusqu’à plusieurs centaines de litres d’eau, tout en ralentissant le ruissellement de surface et, par conséquent, en empêchant l’érosion locale du sol. En se décomposant, le bois mort modifie la structure du sol et peut améliorer ses capacité d’absorption et de rétention de l’eau. Cette capacité de stockage et d’absorption d’eau du bois mort dépend de l’essence et du degré de décomposition du bois (les bois denses absorbent et stockent peu au contraire des bois plus poreux).
→ Le maintien d’un couvert relativement fermé et continu dans ces forêts permet d’une part de contenir le développement de la strate arbustive basse plus facilement inflammable, et d’autre part d‘entretenir une atmosphère plus humide du fait de l’évapostranspiration du feuillage. L’étude publiée dans la revue British Ecological Society (Blumröder et al., 2021) conclut ainsi que les forêts plus denses et moins éclaircies régulent mieux le microclimat forestier.
Les forêts non gérées peuvent être localement embroussaillées, mais il s’agit alors d’un stade transitoire suite à une trouée, donc sur une petite surface dans le couvert.
→ Les forêts non exploitées comportent également une forte proportion de gros bois et de très gros bois qui permettent la mise en oeuvre de stratégies de résistance ou de tolérance au feu. Comme nous l’avons vu précédemment à partir de l’ouvrage collectif des éditions Quae (Curt et al., 2022), plus un arbre est gros, plus son écorce est épaisse et protège ses tissus conducteurs, et donc meilleure sera sa capacité de survie au feu, notamment pour les résineux. La régénération par les cônes sérotineux qui s’ouvrent sous l’effet de la chaleur suite au passage d’un feu nécessite que les arbres soient suffisamment âgés pour avoir atteint leur maturité sexuelle. Et en l’absence de ces stratégies, la dispersion des graines pourra se faire à partir d’individus matures situés en pourtour de la zone brûlée, ou depuis des îlots non brûlés.
→ La structure fermée de ces peuplements diminue également la pénétration du vent, qui influence fortement la propagation des feux. En effet, le même ouvrage (Curt et al., 2022) indique que “L’échauffement de la végétation est ainsi plus rapide en présence d’un fort vent, et le feu se propagera plus vite.” Les peuplements denses réduisant la vitesse du vent dans la canopée selon une étude publiée dans la revue Forestry (Gardiner et al., 1997), la propagation du feu y est ainsi réduite.
→ Les emplacement des forêts non exploitées sont souvent réfléchis afin d’être à l’écart des enjeux humains, parfois interdites au public selon le choix du gestionnaire, ou peuvent être difficilement accessibles en raison de la topographie et de la desserte. Ceci réduit fortement les risques de départ de feu qui sont d’origine humaine à plus de 90% (voir page 50). Elles ne sont pas concernées par des OLD, mais sont intégrées aux stratégies de DFCI puisque les pistes de DFCI sont notamment entretenues lorsqu’elles traversent de tels espaces.
Quels sont les inconvénients des forêts non exploitées en cas de feu ?
Si une forêt non exploitée s’enflamme, et si des conditions favorables au développement des incendies sont réunies (températures, sécheresse et vent forts), étant donné qu’elle comporte généralement une biomasse (vivante et morte) importante, le feu peut y être intense et puissant, comme le décrivent les auteurs de l’ouvrage collectif des éditions Quae (Curt et al., 2022).
La structure, pouvant être étagée dans des peuplements non exploités, peut favoriser le passage du feu en cime, mais c’est également vrai pour deux parcelles exploitées d’âge différent situées côte à côte, et plus généralement pour tous les peuplements comportant un sous-étage.
Enfin, les auteurs mentionnent aussi que « Plus les conditions de vent et de sécheresse deviennent extrêmes, moins la structure et le détail de la composition de la végétation sont importants pour déterminer la propagation du feu. Cela tient au fait que la transmission de l’énergie devient très efficace par vent fort, et que l’inflammation de la végétation sous cet apport de chaleur est beaucoup plus rapide pour des teneurs en eau faibles.»
Aucun mode de gestion ne protège totalement la forêt du feu, et les enjeux de DFCI ne doivent pas faire oublier tous les autres rôles de la forêt.