Analyses

Adaptation des forêts au changement climatique : l’Allemagne mise sur la résilience des écosystèmes

Pour améliorer l'adaptation de ses forêts au changement climatique, l'Allemagne évite les coupes rases, s'appuie sur la régénération naturelle et la biodiversité.
Publié le Rédigé par Canopée

Pour améliorer l’adaptation des forêts au changement climatique, la France et l’Allemagne sont engagés dans deux stratégies diamétralement opposées. Tandis que la France mise sur la plantation d’un milliard d’arbres, en rasant les forêts existantes pour les remplacer par de nouveaux arbres, l’Allemagne propose une aide à tous les propriétaires engagés dans une sylviculture plus écologique, misant sur la résilience des écosystèmes forestiers, interdisant les coupes rases, s’appuyant sur la régénération naturelle et la biodiversité. Le dispositif allemand connaît un large succès : 1,6 millions d’hectares de forêts sont déjà couverts par ce programme.

Zoom sur la stratégie de nos voisins de l’autre côté du Rhin.

Une aide de 100€ par hectare et par an pour éviter les coupes rases

En 2022, le Ministère allemand en charge de l’agriculture a lancé un programme d’aide aux propriétaires forestiers privés et communaux, destiné à orienter leurs choix de sylviculture vers une gestion plus adaptée au changement climatique : le « Klimaangepasstes Waldmanagement » (« gestion forestière adaptée au climat »).

Ce programme prévoit une aide de 100€ par hectare et par an, pour des durées allant de 10 à 20 ans, pour tous les propriétaires privés et communaux respectant 12 critères :

  1. Renoncer aux coupes rases. En cas d’impasse sanitaire seulement, la coupe rase est possible, à condition de laisser 10% du volume de bois mort sur place, afin de servir d’habitat à la biodiversité.
  2. Marquer et préserver au moins 5 arbres bio par hectare. Il s’agit d’arbres morts pouvant accueillir une biodiversité riche : ces arbres doivent être préservés et devront se décomposer sur place. Si la parcelle ne compte pas 5 arbres bio sur chaque hectare, les arbres à préserver peuvent être répartis sur la totalité des parcelles concernées (par exemple, 6 arbres sur le premier hectare et 4 sur le second).
  3. Laisser au moins 5% de la forêt en libre-évolution. Cette mesure est obligatoire pour les forêts dont les propriétaires possèdent plus de 100 hectares, et facultative pour les propriétaires possédant moins de 100 ha. La zone choisie pour être laissée en libre-évolution doit couvrir au minimum 0,3 ha d’un seul tenant et ne doit faire l’objet d’aucune opération de gestion pendant 20 ans. En revanche, les travaux de sécurisation, notamment en bord de chemin, peuvent être réalisés et ne sont pas comptabilisés comme de la gestion. Cependant, les bois coupés dans ce cadre doivent être laissés morts au sol.
  4. Lors de la création de cloisonnements, espacer les cloisonnements d’au moins 30 mètres, et de 40 mètres lorsque les sols sont sensibles au tassement.
  5. Augmenter la diversité de bois morts au sol et sur pied (afin d’obtenir différents stades de dégradation et différents diamètres de bois morts).
  6. Maintenir ou, si nécessaire, augmenter la diversité d’essences autochtones résilientes au changement climatique, avec possibilités d’enrichissements pour diversifier les essences.
  7. Lors d’ouvertures accidentelles du couvert sur de petites surfaces, laisser la dynamique forestière s’installer naturellement, en respectant les stades de succession naturels, en particulier l’installation d’essences pionnières.
  8. Ne pas amender le sol ni utiliser de pesticides.
  9. Ne pas assécher ni drainer les parcelles. Le drainage des parcelles était notamment pratiqué dans le Nord-est de l’Allemagne : une région historiquement humide et marécageuse, qui a été asséchée afin d’installer par exemple des plantations de pins sylvestres.
  10. Toujours privilégier la régénération naturelle, à condition qu’elle soit principalement constituée d’essences autochtones.
  11. Lors de plantations, ne planter que des essences recommandées dans le Land concerné et en priorité les essences autochtones.
  12. Pour les forêts régulières, ne pas intervenir avant d’avoir une régénération naturelle ou artificielle âgée d’au moins 5 à 7 ans.

Le programme allemand victime de son succès

Dans un communiqué publié en octobre 2024, le Ministère allemand chargé de l’environnement, qui a repris le pilotage du programme en 2024, indique que la totalité des fonds alloués à ce programme ont pu être utilisés.

Ainsi, 9000 dossiers ont été acceptés, soit une couverture de 21% de la forêt privée et communale (pour 1,6 millions d’hectares de forêts).

Des démarches simplifiées et un contrôle rigoureux

Le système forfaitaire permet une instruction simple des dossiers de demande. Les aides sont versées dès l’entrée du propriétaire dans le programme, les contrôles sont faits a posteriori.

Le contrôle du respect des 12 critères énumérés ci-dessus se fait par des organismes certificateurs comme PEFC ou FSC. Le Ministère précise néanmoins explicitement dans une FAQ que la simple certification PEFC ne suffit pas à justifier du respect des 12 critères et ne permet donc pas de toucher l’aide en question : il s’agit d’un module supplémentaire pour lequel les organismes certificateurs comme PEFC ne sont que contrôleurs.

En cas de contrôle non satisfaisant, les propriétaires doivent rembourser les aides perçues, majorées d’intérêts.

En France, une stratégie risquée qui mise sur le remplacement des dynamiques naturelles par de nouvelles plantations

Pour s’adapter à un changement, il existe deux grands types de stratégies : adopter des mesures « sans regret » qui, même si elles échouent, n’auront pas d’effets négatifs – ou faire le pari de mesures proactives anticipant de nouvelles conditions, au risque d’aggraver la crise.

Si l’Allemagne a choisi la première stratégie, la France s’est engagée dans la seconde.

En 2021, le gouvernement français a annoncé un premier programme de plantation d’arbres : le volet forestier du plan de relance. L’objectif : « planter 50 millions d’arbres » pour « adapter la forêt au changement climatique ». La liste des projets financés n’étant pas publique, Canopée a rapidement enquêté sur le terrain et révélé que ce plan s’est soldé par une très large proportion de coupes rases : plus de 85% des projets financés impliquaient des coupes rases. Ce chiffre a ensuite été confirmé officiellement par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, lors du bilan du dispositif.

Si l’installation de nouvelles plantations peut se justifier dans certains cas, nous avons constaté que le dispositif avait été dévoyé, notamment par les coopératives forestières, pour transformer des peuplements dits « pauvres » économiquement en plantation d’arbres plus adaptés aux besoins de l’industrie.

Ainsi, l’arbre le plus planté dans le cadre du plan de relance est le douglas, un arbre pourtant en difficulté lors des épisodes de sécheresse et globalement peu adapté à un climat qui se réchauffe, surtout en plaine (sous 600 m d’altitude). Au total, plus de 10 000 hectares de forêts saines ont été rasés, pour faire place à l’installation de nouveaux plants.

Cette stratégie est fortement risquée : en perturbant durablement les dynamiques naturelles en place, les interventions financées peuvent diminuer la résilience des forêts concernées face au changement climatique, par exemple en exposant les jeunes plants en plein soleil. Ainsi, le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire pointait en 2022 un taux record d’échec de mortalité des plants forestiers : 38% des plantations ont échoué cette année (données les plus récentes).

La volet forestier du plan de relance a ensuite été relayé par un nouveau dispositif, le « plan de renouvellement« , faisant partie du programme France Nation Verte. Cette fois, c’est 1 milliard d’arbres qui doivent être plantés sur 10 ans.

Les critères d’attribution des aides dans le cadre du plan de renouvellement ont été légèrement améliorés par rapport aux critères du plan de relance mais demeurent largement insuffisants. Dans une note conjointe, l’ensemble des ONGs de protection de l’environnement avait alerté sur le risque que plus de 60% des projets – soit près de 650 000 hectares de forêts – pourraient être concernés par des coupes rases dans le plan de renouvellement.

Une nouvelle analyse publiée par Canopée démontre que les critères du nouveau plan de renouvellement demeurent largement insuffisants pour trois raisons principales :

  • Les nouveaux critères du cahier des charges permettent toujours de raser une forêt à partir du moment où 20% des arbres sont morts ou dépérissants (donc avec potentiellement 80% d’arbres sains) ;
  • La notion de peuplements « pauvres », reposant avant tout sur un critère économique, constitue l’autre faille majeure du plan de renouvellement : ces peuplements peuvent être éligibles aux aides.
  • Aucune évaluation environnementale du plan de renouvellement des forêts n’a été réalisée, notamment sur le puits de carbone.

La stratégie française pourrait aggraver les difficultés d’adaptation des forêts au changement climatique

La stratégie de renouvellement de la forêt française, qui s’appuie sur des coupes rases par anticipation et la plantation de nouvelles essences supposées mieux adaptées au réchauffement climatique, pose deux problèmes majeurs.

D’abord, elle accroit à court terme les émissions de CO2. L’argument avancé selon lequel ce sacrifice serait compensé sur le long terme par une hausse du puits de carbone n’est pas recevable : le système climatique ne réagit pas de façon linéaire. Chaque tonne de CO2 émise aujourd’hui aggrave le changement climatique et complexifie les possibilités d’adaptation des forêts. La filière forêt bois, comme l’ensemble des secteurs, doit chercher à réduire ses émissions dès aujourd’hui.

Ensuite, elle conduit à une dégradation du microclimat forestier qui constitue pourtant notre principal atout pour tamponner les écarts de température. En effet, sous couvert forestier, il est démontré que la température peut-être de 10 à 15°C moins élevée lors des pics de chaleur qu’au milieu d’une coupe rase (Lenoir, 2023). L’exposition en plein soleil des jeunes plants explique, en majorité, la hausse du taux de mortalité constaté ces dernières années dans les nouvelles plantations.