Analyses

Loi de finances : un budget réduit – pour quelles priorités ?

Dans le cadre de l'examen de la loi de finances pour 2025, Canopée présente ses propositions pour une nouvelle répartition des aides publiques dans le secteur forestier.
Publié le Rédigé par Canopée

Dans un contexte de forte restriction budgétaire, le gouvernement propose de réduire par deux les aides budgétaires à la filière forêt-bois par rapport à 2024. Au total, elles passeraient de 509 millions d’euros en 2024 à 228 millions en 2025. L’opportunité d’un débat sur les priorités de notre politique forestière ? Nos propositions (pour la version détaillée, c’est par ici

Dans sa version actuelle, le projet de loi de finances ne propose pas de ventilation entre les différentes actions en faveur de la forêt et des entreprises de la filière bois (programme 139 du ministère de l’Agriculture et des Forêts). Il concentre l’ensemble des moyens sur le seul plan de renouvellement des forêts. Derrière cette proposition, la volonté du ministère de l’Agriculture et des Forêts est de garder la main et d’éviter un débat politique avec les parlementaires sur les choix à faire.

Convaincu que l’avenir de nos forêts doit faire l’objet d’un débat public et transparent, Canopée a organisé une conférence de presse pour présenter ses propositions en compagnie de députés de 5 partis politiques, d’un représentant syndical de l’ONF et d’un expert forestier indépendant.

À budget égal, nous proposons une nouvelle ventilation des crédits alloués à la filière forêt-bois permettant un traitement plus efficace d’une surface forestière plus grande en comparaison avec ce qui a été fait dans le cadre du plan de relance. 

Mise à jour le 13 novembre

Le débat sur le projet de loi de finances s’articule en deux parties : la partie « recettes » puis la partie « dépenses ».
Nos principales propositions portent sur le volet « dépenses ». Nos propositions ont toutes été reprises par les députés de 5 partis présents à la conférence de presse, avec le soutien de nombreux autres députés. Cependant, elles n’ont pas pu être débattues à l’Assemblée nationale. En effet, l’ensemble de la partie « recettes » du budget a été rejetée le 12 novembre : la partie « dépenses » ne sera pas examinée à l’Assemblée nationale.
C’est donc la version initiale du texte proposé par le gouvernement, avec les amendements choisis par le gouvernement, qui va être débattue au Sénat. Nos amendements ont été tranmis aux Sénatrices et Sénateurs.

A ce stade, le gouvernement s’est déjà engagé à déposer un amendement au Sénat pour maintenir les effectifs de l’ONF.

Recalibrer le plan de renouvellement des forêts 

"Faute de critères rigoureux, le plan de renouvellement des forêts finance des coupes rases de forêts qui pourraient être améliorées avec des techniques plus douces, plus efficaces et moins couteuses" explique Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de Canopée

Priorité fixée par le Président de la République, l’objectif de planter un milliard d’arbres d’ici 2032 justifie et structure le plan de renouvellement des forêts. Or, en partant des moyens (planter des arbres) plutôt que de l’objectif (adapter la forêt aux changement climatique), cette politique a créé des effets d’aubaine entrainant de nombreuses coupes rases abusives.  

Comme le constate la Cour des Comptes : « Certaines interventions du fonds d’aide au renouvellement de France Relance ne répondent pas directement à des objectifs d’adaptation des forêts. En effet, d’une part, elles privilégient les peuplements à faible valeur économique non dépéris et, d’autre part, elles reposent sur des critères de diversification trop peu contraignants. »

De plus, cette stratégie se heurte à deux obstacles structurels : la faible disponibilité en plants de feuillus et le manque d’entreprises de travaux forestiers. 

Nous proposons donc de resserrer les critères du plan de renouvellement pour limiter les plantations en plein (c’est-à-dire sur la totalité d’une parcelle) aux seuls cas où elles sont indispensables. Ces plantations sont à la fois les plus impactantes pour l’environnement et aussi les plus coûteuses. Les limiter permet de dégager des marges financières pour financer d’autres actions.  

Priorité à l’amélioration des forêts existantes 

Lors de la précédente mandature, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a gagné un arbitrage pour prioriser l’amélioration des peuplements existants. En pratique, cet arbitrage ne s’est pas traduit par un renforcement significatif des critères du cahier des charges. 

Nous proposons donc de : 

  • Limiter les coupes rases et les plantations en plein aux seules forêts sinistrées ; 
  • Privilégier l’amélioration des peuplements existants par des travaux moins intensifs mais plus fréquents (éclaircie, plantation d’enrichissements). En déstabilisant moins les peuplements, ils permettent de renforcer progressivement la résistance et la résilience des forêts en restaurant un bon état de fonctionnement écologique.  De plus, ces travaux étant plus légers, il est possible d’alléger considérablement les études et diagnostics préalables, et de se limiter à des déclarations de travaux et des contrôles aléatoires a posteriori. 

Nous proposons de financer ces travaux avec une enveloppe dédiée et sanctuarisée du plan de renouvellement mais également un dispositif de bonification du DEFI Travaux pour encourager des travaux plus écologiques.  

Dans sa forme actuelle, le DEFI Travaux n’offre aucune incitation supplémentaire aux pratiques favorables à la biodiversité et à la protection des sols, comme la sylviculture mélangée à couvert continu (SMCC). 

Deux propositions de loi sur la forêt ont été déposées, proposant la mise en place d’un plan de développement de la sylviculture mélangée à couvert continu (SMCC).  La proposition de loi de Mme Panonacle propose ainsi de bonifier (de 25% à 40%) le crédit d’impôt du DEFI Travaux pour les propriétaires s’engageant à « gérer leur forêt en maintenant son couvert continu ». Nous proposons de rehausser ce bonus à 60% pour l’aligner avec le montant d’intervention pour des opérations d’amélioration dans le cadre du plan de renouvellement des forêts. En considérant un forfait de 800 €/hectare, le coût pour les finances publiques est de 480 €/hectare. 

En complément, nous proposons de créer un crédit d’impôt DEFI Biodiversité permettant de financer la réalisation d’une annexe cartographie des enjeux biodiversité et/ou d’évaluer l’Indice de Biodiversité Potentielle (IBP). Aujourd’hui, les mesures de cartographie de la biodiversité et de protection des espèces protégées dans les forêts gérées sont largement insuffisantes. Les documents de gestion durable ne prévoient pas de volet biodiversité, en particulier en forêt privée. En conséquence, les entreprises de travaux forestiers n’ont pas accès à une information fiable leur permettant d’éviter la destruction d’espèces protégées lorsqu’elles interviennent, et sont exposées à un risque d’amende. Ce dispositif permettrait de pallier cette insécurité juridique.  

Faire plus avec moins 

Dans le cadre du plan de relance, 35 935 hectares de forêts ont été traitées pour un budget de 149 M€ soit un coût pour les finances publiques de 4145 €/hectare. Nous proposons de traiter 1,5 fois plus de surface pour environ 1,5 fois moins de budget soit 55 000 hectares pour 92,4 M€ et un coût de 1680 €/hectare. Ceci est possible en réduisant la part de surface de plantation en plein à 10 000 hectares et en augmentant la surface de plantation en enrichissement à 15 000 hectares et celle en travaux d’amélioration à 30 000 hectares. 

En effet, le coût moyen pour les finances publiques d’une plantation en plein est de 5935 €/hectare (avec un taux d’intervention de 80%) alors que celui d’une plantation d’enrichissement est de 1200 €/hectare (avec un taux d’intervention de 60%) et celui de travaux d’amélioration de 480 €/hectare (avec un taux d’intervention de 60%). Pour le détail de ces calculs, lire notre rapport

Cette surface est réaliste par rapport à la disponibilité en plants de feuillus, aux compétences et au nombre actuel de gestionnaires capables de réaliser ces travaux mais pourrait monter en puissance dans les années qui viennent. 

Renforcer les effectifs ONF et CNPF 

« On a perdu notre capacité opérationnelle, regrette Patrice Martin. Or, avec le changement climatique, nous avons besoin d’une gestion et d’une observation beaucoup plus fine des peuplements. Les schémas sont totalement remis en cause ».

Ces 20 dernières années, les effectifs de l’Office National des Forêts ont fortement diminué en passant de 12 800 personnes en 2000 à près de 8 000 en 2024. Face au changement climatique, l’ONF doit être en mesure d’assurer une gestion sylvicole de qualité des 1,7 million d’hectares de forêt publique sous sa responsabilité. 

En appui aux demandes des syndicats, nous proposons la création d’un ETP par service pour permettre à l’ONF de mieux remplir les missions essentielles qui lui sont dévolues, notamment ses missions d’intérêt général (MIG). Soit 478 ETP pour un coût total de 28,2 M€. 

Moins connu par le grand public que l’ONF, le Centre National de la Propriété Forestière (CNPF) est un établissement public qui joue un rôle central dans l’encadrement et l’animation de la forêt privée. En 2023, la surface à partir de laquelle un plan simple de gestion est obligatoire a été abaissée, passant de 25 hectares à 20 hectares. Il en résulte que le CNPF doit traiter 20 000 dossiers supplémentaires chaque année. Nous proposons donc la création de 46 ETP supplémentaires pour un coût total de 3,4 M€. 

Maintenir un fonds d’aide à l’investissement pour aider les entreprises de travaux forestiers à acquérir du matériel permettant de protéger les sols 

À côté de la faible disponibilité en plants, les entreprises de travaux forestiers rencontrent également les difficultés pour recruter, investir et s’adapter aux nouvelles normes environnementales.  

Il est donc indispensable de les soutenir, notamment en accompagnant des démarches collectives innovantes ou en les aidant à acquérir du matériel permettant de réaliser des travaux ou d’exploiter du bois sans dégrader les sols forestiers. C’est l’objet de l’appel à manifestation d’intérêt « Exploitation forestière et sylviculture performantes et résilientes » (ESPR) qui est géré par l’ADEME pour le compte du Ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt.  

Nous proposons de maintenir 10 M€ pour ce programme, en le resserrant sur l’acquisition de matériel permettant de réduire les impacts sur les sols forestiers. 

Maintenir un fonds d’aide à l’investissement pour les petites et moyennes scieries, avec une priorité pour la transformation de feuillus. 

Depuis les années 1960, le nombre de scieries est passé de 15 000 à environ 1200 aujourd’hui. Les scieries les plus fragiles sont les petites et moyennes scieries de feuillus.  

Elles font face à plusieurs difficultés : 

  • Un approvisionnement en bois non sécurisé : avec une concurrence forte avec les exportateurs pour les bois de qualité (d’où notre proposition annexe de conditionner l’accès aux aides publiques à une transformation locale) ; 
  • Une faible capacité à investir et innover, notamment pour transformer les bois de qualité secondaire ou les essences moins connues sur le marché. 

Les scieries de résineux, surtout les plus grandes, sont moins fragiles car ces bois trouvent plus facilement des débouchés dans la construction. Dans la mesure où les deux tiers de notre forêt sont composés de feuillus, il est indispensable de structurer des débouchés rémunérateurs à ces bois pour éviter la transformation de ces forêts en plantation de résineux. 

C’est l’objet de l’appel à manifestation d’intérêt “Industrialisation Performante des Produits Bois” (IPPB) qui est géré par l’ADEME pour le compte du ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de la Forêt. 

Cet appel à projet vise à améliorer la valorisation des ressources bois, en priorisant les usages à longue durée de vie et en optimisant les procédés de transformation.  

Nous proposons de maintenir 44,5 M€ pour ce programme en le réservant aux entreprises de moins de 50 salariés et en abaissant le seuil d’éligibilité des dépenses de 1M€ à 300k€ pour soutenir les plus petites entreprises du secteur. 

Maintenir les crédits de Défense des Forêts Contre l’Incendie 

Le projet de loi de finances pour 2025 propose de supprimer l’ensemble des crédits alloués à la défense des forêts contre l’incendie et pour les forêts d’Outre-mer. 

Pourtant, en 2023, 50 départements ont été touchés par des incendies ou un risque d’incendie, soit la moitié des départements français. Le rapport sénatorial « Prévenir l’embrasement », publié le 3 août 2022, rappelle que parmi les plus grands incendies ayant touché la France ces 40 dernières années, 3 se sont déclenchés en 2021 et 2022. Il s’agit des premiers incendies de plus de 5 000 hectares depuis 2003. En cas de feux simultanés, comme en Gironde à l’été 2022, les coûts environnementaux et socio-économiques des incendies peuvent s’accroître de façon exponentielle. Dans le contexte du risque incendie croissant, il ne paraît pas opportun de supprimer les aides allouées à la défense des forêts contre l’incendie.