Analyses
Encadrement des travaux forestiers : Canopée alerte le Conseil constitutionnel

La loi d’orientation pour la souveraineté agricole, adoptée définitivement par le Parlement, contient des dispositions qui pourraient fragiliser la protection des forêts. Plusieurs députés ont déposé un recours auprès du Conseil constitutionnel, appuyé par Canopée, qui a également soumis une contribution extérieure.
Les travaux forestiers ne peuvent pas être déclarés d’intérêt général
L’article 13 bis AAA de cette loi stipule que tous « les travaux forestiers réalisés dans le cadre de la gestion durable des forêts sont indispensables à la préservation des écosystèmes » et « à l’adaptation des milieux naturels au changement climatique » et confère à une partie d’entre eux un statut d’intérêt général.
Cet article revient à affirmer que tous les travaux forestiers seraient bénéfiques, ce qui est scientifiquement inexact. L’expertise collective Coupes Rases et Renouvellement des Peuplements Forestiers (CRREF) a démontré que les coupes rases et les travaux mécanisés, loin d’être systématiquement favorables aux écosystèmes, ont souvent des effets négatifs sur la biodiversité, les sols et les ressources en eau. Ces pratiques s’inscrivent pourtant dans le cadre d’une « gestion durable » telle que définie actuellement par les pouvoirs publics.
Avec une telle disposition, il deviendrait extrêmement difficile de contester juridiquement des coupes rases ou des travaux mécanisés, même lorsqu’ils portent atteinte à la biodiversité, aux sols ou à la capacité des forêts à stocker du carbone.
Nous alertons également sur le fait que cette disposition constitue un cavalier législatif, c’est-à-dire qu’elle n’a aucun lien avec l’objet initial de la loi, qui portait sur la souveraineté alimentaire.
Enfin, cet article viole le principe de proportionnalité en remettant potentiellement en cause l’équilibre entre les différents enjeux forestiers : la nécessité d’exploiter la forêt pour extraire du bois ne peut primer sur la préservation de l’écosystème, garantie par la Charte de l’environnement.
Destruction d’espèces protégées : moins de sanctions, mais toujours pas de solution
L’article 13 de la loi introduit une présomption d’absence d’intentionnalité des atteintes aux espèces protégées. Il stipule que « sont réputés n’avoir pas été commis de manière intentionnelle les faits répondant à l’exécution d’une obligation légale ou réglementaire ou à des prescriptions prévues par une autorisation administrative ».
Cette disposition répond notamment aux demandes de la filière bois et aux entreprises de travaux forestiers qui ont été poursuivies pour destruction d’espèces protégées. Avec cette présomption, il deviendra extrêmement difficile de prouver l’infraction pénale sanctionnée par 3 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende. Les atteintes aux espèces protégées encourront alors une simple amende administrative de 450 €.
La rédaction de la loi initiale prévoyait uniquement de réadapter les peines et d’examiner leur nécessité. Cette nouvelle version créant une présomption de non-intentionnalité a été introduite par le gouvernement Barnier à l’Assemblée nationale en octobre 2024, via un amendement.
Le gouvernement Barnier a sans doute fait ce choix de passer par un amendement pour éviter qu’un potentiel avis négatif du Conseil d’Etat puisse alimenter une future censure. Cet amendement est en effet en contradiction évidente avec la jurisprudence européenne, qui impose des mesures d’évitement et de réduction des impacts sur les espèces protégées, indépendamment du caractère intentionnel ou non des atteintes. Plusieurs condamnations ont déjà été prononcées contre des États membres qui n’imposaient pas ces garanties.
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Cette présomption s’applique également aux travaux prévus dans le cadre d’un document de gestion forestière.
Or, l’existence d’un document de gestion durable est insuffisante pour prévenir les atteintes aux espèces protégées. En forêt privée, le plan simple de gestion – qui est le document le plus contraignant – se limite à une « brève description des enjeux environnementaux » (article L312-1 du Code forestier). Il ne contient aucune information concrète permettant de prévenir les atteintes aux espèces protégées. Même en zone Natura 2000, les annexes vertes aux schémas régionaux de gestion sylvicole, censées apporter des garanties environnementales, se limitent à des recommandations générales et ne permettent pas d’identifier précisément les espèces présentes sur une parcelle donnée.
À deux reprises au moins, les organisations environnementales qui œuvrent pour la protection des forêts ont interpellé le gouvernement sur les conséquences d’un tel amendement.
Lors du passage au Sénat, le gouvernement Bayrou a tenté d’introduire un nouvel amendement pour prendre en compte ces interpellations. Cet amendement a été rejeté, mais il a finalement été réintroduit dans le texte final après la commission mixte paritaire. La présomption de non-intentionnalité est désormais limitée aux « activités prévues par des documents de gestion mentionnés à l’article L. 122-3 du Code forestier, incluant des mesures effectives pour éviter ou réduire les atteintes aux espèces protégées et à leurs habitats, présentant des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point que ce risque apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé ».
Là encore, cet amendement reflète les tergiversations du gouvernement. Plutôt que de rehausser le niveau d’exigence de l’ensemble des documents de gestion durable pour prévenir les atteintes aux espèces protégées, il tente d’introduire une conditionnalité à l’infraction pénale (article L. 415-3 du Code de l’environnement). Il en résulte un texte difficilement compréhensible et inefficient ce qui justifie selon nous sa censure par le Conseil constitutionnel.
Plutôt que de répondre au besoin légitime des entreprises de travaux forestiers de travailler dans un cadre juridique sécurisé, le gouvernement introduit des dispositions qu’il sait fragiles et laisse au juge la responsabilité de les censurer.
Pour l’ensemble de ces raisons, Canopée a décidé d’intervenir en soutien auprès du Conseil constitutionnel avec un courrier argumenté à télécharger ci-dessous.