Analyses

Plan de renouvellement des forêts, un risque majeur de financer des coupes rases injustifiées 

Publié le Rédigé par Canopée

Planter un milliard d’arbres d’ici 10 ans. C’est l’objectif fixé par le Président de la République, Emmanuel Macron, qui est en train de structurer la politique forestière. Mais ce plan a une faille majeure : il repose sur une logique de promotion de la coupe rase et de remplacement des forêts existantes par de nouvelles plantations.

Un précédent et un bilan à assumer : le plan de relance 

En 2021, au sortir de la crise de la COVID-21, le gouvernement s’est lancé dans un premier programme de plantation d’arbres avec le volet forestier du plan de relance. Comme l’a révélé Canopée, ce plan s’est soldé par une très large proportion de coupes rases : plus de 85% des projets financés. Un chiffre qui a été confirmé officiellement par la suite par le Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Si dans certains cas, ces coupes rases peuvent se justifier, nous avons constaté que le dispositif avait été dévoyé, notamment par les coopératives forestières, pour transformer des peuplements « pauvres » en plantation d’arbres plus adaptés aux besoins de l’industrie. Ainsi, le douglas est le premier arbre qui a été planté en proportion alors qu’il n’est pas adapté à un climat qui se réchauffe en plaine (<600 m d’altitude). 

De trop nombreux arbres sains rasés 

Dans la continuité du plan de relance, le gouvernement a poursuivi ce programme de plantation d’arbres via le dispositif France 2030 gérée par l’Ademe. Si le cahier des charges a été partiellement renforcé, il reste très insuffisant sur plusieurs points : 

  • Le seuil de 20% d’arbres morts pour qualifier une forêt de sinistrée est trop bas. En effet, cela signifie qu’il peut rester potentiellement 80% d’arbres sains dans le peuplement. De plus, ce seuil ne prend pas en compte le mélange d’essences : si dans un peuplement une essence dépérit, d’autres peuvent prendre le relai (par exemple, le chêne sessile plus résistant à la sécheresse que le chêne pédonculé). Dans le cas d’un peuplement de frêne atteint par la chalarose, récolter par anticipation l’ensemble des arbres prive le sylviculteur de la possibilité de travailler au profit d’arbres développant une résistance naturelle à cette maladie. S’il est nécessaire d’identifier et d’évacuer rapidement des arbres affaiblis par une attaque de scolyte, une coupe rase des arbres sains dans l’urgence n’est pas forcément justifiée. Dans le cas d’une forêt ayant subie une tempête ou un incendie, il est essentiel de maintenir les arbres ayant résistés pour garder des semenciers et maintenir au maximum l’ambiance forestière.  
  • Les coupes rases de peuplements vulnérables par anticipation sont à proscrire. Dans le cahier des charges actuel France 2030, un peuplement présentant un niveau de dépérissement de plus de 20% (arbres en classes D, E ou F selon le protocole DEPERIS) peut être entièrement rasé puis replanté. Ce seuil est trop bas pour condamner un peuplement et justifier la coupe de 80% des arbres restants. Le maintien de l’ambiance forestière est reconnu comme un facteur clé pour améliorer la résilience des forêts. Il est préférable d’améliorer ces forêts avec des travaux d’éclaircies, de balivage ou des plantations d’enrichissement. De plus, les outils comme Climessence ou Bioclimsol n’ont pas été conçus pour prévoir des dépérissements et présentent de nombreuses limites. Par exemple, ils ne prennent pas en compte l’effet des mélanges, la plasticité phénotypique, l’exposition ou encore les micro-climats. 
  • Des peuplements pauvres à enrichir plutôt qu’à raser. Le cahier des charges France 2030 a permis de renforcer les critères encadrant la transformation de peuplements pauvres mais là aussi, il serait préférable de privilégier l’amélioration ou l’enrichissement plutôt que la coupe rase.  

Des critères de préservation des écosystèmes largement insuffisants 

Faute de critères rigoureux, le plan de relance a conduit à la transformation d’environ 6600 hectares en zone Natura 2000 sans aucune étude d’incidence environnementale. Avec 1522 hectares, le douglas est également le premier arbre planté en zone Natura 2000. 

Plus généralement, il n’y a aucun critère permettant de s’assurer de la non-régression de la biodiversité. Par rapport au plan de relance, le dispositif France 2030 a introduit la possibilité d’identifier et de maintenir les éléments favorables à la biodiversité mais cela reste une option alors que cela devrait être une obligation. De plus, cette option est limitée à 10% de la surface pour être prise en compte dans l’assiette éligible des travaux. Au-delà : « si la partie environnementale du diagnostic montre une surface d’éléments écologiques à préserver supérieure à ces 10%, il est recommandé d’exclure une partie de ces surfaces d’éléments écologiques de toutes opérations sylvicoles ». L’exclusion d’une partie seulement de ces surfaces est un grave problème. À titre de comparaison, la méthode « reboisement » du Label Bas Carbone exige la non-régression de l’Indice de Biodiversité Potentiel.

Une absence d’évaluation de l’impact sur le puits de carbone 

Une des conséquences de ces coupes rases est d’augmenter de façon injustifiée la récolte de bois au-delà de la récolte des seuls bois objectivement morts ou dépérissants. Comme le note le rapport de l’IGN / FCBA (2024), les volumes récoltés par la mise en œuvre de ce plan (jusqu’à 2035) représenteraient entre 90 Mm3 et 135 Mm31 . En moyenne, cela représente donc une dégradation du puits de carbone forestier de l’ordre de 11 MtCO2 / an. Cette dégradation est un choix politique car une grande partie de des arbres récoltés sont des arbres sains et non des arbres morts. Cette stratégie est d’autant plus grave que la France n’atteint pas son objectif de -34 MtCO2/an en 2030 fixé par le règlement européen sur l’usage des terres.

Il est possible de réduire de façon forte ce déstockage de carbone en privilégiant l’amélioration des peuplements à leur transformation, par coupe rase puis plantation, à chaque fois que cela est possible.

Evolution du volume sur pied moyen à l’hectare dans les peuplements aidés dans le plan de renouvellement selon les scénarios de renouvellement et les scénarios d’effets du climat sur l’ensemble de la période de projection. Le scénario R0 est le scénario sans plan de renouvellement. La différence entre R1 et R2 est liée à la capacité de mise en oeuvre des plantations et du taux de succès des plantations. La différence entre C2 et C3 est liée à des scénarii plus ou moins dégradés d’évolution du climat. Extrait du rapport IGN / FCBA (2024)

Le plan de renouvellement, un nouveau plan massif de coupes rases ? 

L’enjeu aujourd’hui est de pérenniser ce fonds pour les prochaines années. Dans un rapport intitulé “Objectif forêt” que nous avons analysé, le Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire a exprimé sa vision. Les options proposées pour le plan de renouvellement ne remettent pas en cause cette logique : près de 650 000 hectares de forêts pourraient être concernées par des plantations en plein et donc, des coupes rases préalables. 

Estimation des surfaces à reboiser en plein (d’après le rapport « Objectif forêt », hors gestion courante et selon le scénario d'intervention minimum)

Nous contestons la nécessité de procéder à des coupes rases sur une part aussi considérable des forêts françaises de métropole et nous soulignons l’incompatibilité de cette stratégie avec les engagements internationaux sur la biodiversité et le climat. 

Pour une stratégie d’adaptation des forêts s’appuyant sur les écosystèmes

Dans une tribune publiée dans Le Monde en octobre 2023, Canopée et d’autres associations, des scientifiques et des acteurs de la filière ont exprimés leur souhait et leur proposition pour améliorer ce plan de renouvellement. 

La coupe rase doit être l’exception et l’amélioration de l’existant, la règle. C’est d’ailleurs l’engagement qui a été pris, par courrier daté du 17 janvier 2023, par Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. 

Notre priorité, c’est d’abord de ne plus financer les coupes rases, préalable à une demande de subventions. Nous le savons, de telles pratiques ne sont pas bonnes pour les sols, pour la biodiversité, et elles nous privent d’une végétation précieuse qui a encore du potentiel de croissance et donc captation du carbone.

Christophe Béchu, le 11 avril 2023 à la Teste-de-Buch (Gironde)

Nous attendons du gouvernement qu’il fixe un cap clair : certaines pratiques sont à abandonner, d’autres à faire évoluer et d’autres à encourager. Le futur cahier des charges du plan de renouvellement forestier est une opportunité pour réaliser ces arbitrages. 

AGIR

Vous pouvez nous aider à interpeller le conseiller du Premier ministre pour bloquer les subventions aux coupes rases

Interpeller Antoine Pellion