Analyses
Plan de renouvellement des forêts, un risque majeur de financer des coupes rases injustifiées
Planter un milliard d’arbres d’ici 10 ans. C’est l’objectif fixé par le Président de la République, Emmanuel Macron, qui est en train de structurer la politique forestière. Mais ce plan a une faille majeure : il repose sur une logique de promotion de la coupe rase et de remplacement des forêts existantes par de nouvelles plantations.
Raser la forêt pour l’adapter au changement climatique ?
En 2021, au sortir de la crise de la COVID-21, le gouvernement s’est lancé dans un premier programme de plantation d’arbres avec le volet forestier du plan de relance. Comme l’a révélé Canopée, ce plan s’est soldé par une très large proportion de coupes rases : plus de 85% des projets financés. Un chiffre qui a été confirmé officiellement par la suite par le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
Si dans certains cas, ces coupes rases peuvent se justifier, nous avons constaté que le dispositif avait été dévoyé, notamment par les coopératives forestières, pour transformer des peuplements « pauvres » en plantation d’arbres plus adaptés aux besoins de l’industrie. Ainsi, le douglas est le premier arbre qui a été planté en proportion alors qu’il n’est pas adapté à un climat qui se réchauffe en plaine (<600 m d’altitude).
En juin 2023, le cahier des charges a été modifié une première fois pour un appel à projet dans le cadre de France 2030. Sans modifications substantielles.
En juillet 2023, le Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire publie un rapport intitulé “Objectif forêt” qui exprime sa vision pour la création d’un futur fonds pérenne. L’analyse montre que plus de 60% des projets – soit près de 650 000 hectares de forêts – pourraient être concernés par des plantations en plein et donc, des coupes rases préalables comme l’indique le tableau ci-dessous.
En juillet 2024, un nouveau cahier des charges est publié qui est présenté comme le fonds pérenne de renouvellement. Certes, certains critères ont été renforcés mais cela reste très insuffisant.
Un seuil de 20% d’arbres morts ou dépérissants, et c’est la fin ?
Les nouveaux critères du cahier des charges permettent toujours de raser une forêt à partir du moment où 20% des arbres sont morts ou dépérissants (arbres en classes D, E ou F selon le protocole DEPERIS). Dans le premier cas, elle est considérée comme « sinistrée » et dans le second cas, elle est considérée comme « vulnérable ».
Comme le rappelle pourtant le Département Santé des Forêts (DSF), ce seuil de 20% devrait être considéré comme un signal de vigilance et non comme un critère suffisant pour condamner un peuplement.
Mon peuplement présente 21% de tiges dépérissantes, il est dépérissant, il n’est plus viable et je dois le régénérer rapidement. Faux. L’indicateur de construction des indices de vigilance est basé sur la présence et l’absence de dépérissements. Le seuil pour déclarer cette présence d’arbres dépérissant est effectivement au moins 20 % de tiges avec plus de 50 % de perte foliaire ou ramification. Ici le peuplement a dépassé ce seuil de 20 % puisqu’il est de 21 %. Dans l’exemple, il y a donc 79 % de tiges avec moins de 50 % de perte foliaire ou ramification. Il convient d’analyser la capacité de résilience du peuplement et son aptitude à réagir suite au stress rencontré. À ce niveau, un protocole comme ARCHI intervient pour affiner le diagnostic. Si le nombre de tiges résilientes et de qualité sont suffisantes, il faut pratiquer une éclaircie douce à leur profit. La présence de dépérissement est utile pour attirer la vigilance du gestionnaire, mais la vigilance ne dit pas que tel ou tel peuplement est condamné ! . |
Or, le cahier des charges actuel ne prévoit toujours pas d’analyse de la capacité de résistance et de résilience du peuplement en place. D’abord, parce que 20% d’arbres morts ou dépérissants, c’est potentiellement 80% d’arbres qui peuvent être en bonne santé. Dans un peuplement mélangé, si une essence dépérit, d’autres peuvent prendre le relai (par exemple, le chêne sessile plus résistant à la sécheresse que le chêne pédonculé). Ensuite, parce que la capacité de résilience d’un peuplement s’observe sur plusieurs années, avec un protocole comme ARCHI : les chênes, par exemple, sont connus pour leur capacité de réitération et de réorganisation de leur houppier. Dans le cas d’un peuplement de frêne atteint par la chalarose, récolter par anticipation l’ensemble des arbres prive le sylviculteur de la possibilité de travailler au profit d’arbres développant une résistance naturelle à cette maladie. S’il est nécessaire d’identifier et d’évacuer rapidement des arbres affaiblis par une attaque de scolyte, une coupe rase des arbres sains dans l’urgence n’est pas forcément justifiée. Dans le cas d’une forêt ayant subi une tempête ou un incendie, il est essentiel de maintenir les arbres ayant résisté pour garder des semenciers et maintenir au maximum l’ambiance forestière.
À défaut d’une analyse de résistance et de résilience, le cahier des charges propose une évaluation de la vulnérabilité future avec des outils comme BioClimSol ou ClimEssences qui n’ont pas été conçus dans un objectif de diagnostic. L’utilisation de ces outils pour prévoir si une essence est adaptée ou non à un climat futur fait l’objet d’une vive controverse scientifique (voir, par exemple, Fourcade et al, 2018). En effet, ils sont construits en s’appuyant sur des modèles corrélatifs qui sont supposés prévoir la répartition future des essences sur la base de leur répartition actuelle. Ces modèles présentent d’une part des problèmes de simplification (pas de prise en compte d’effet du mélange, du microclimat, de la variabilité génétique ou encore de la plasticité phénotypique des essences) et d’autre part des problèmes d’autocorrélation, ce qui pose des questions quant à leur utilisation en prédiction. Ces modèles, qui font l’objet d’une publication abondante car beaucoup plus simples à établir que les modèles mécanistes présentent aussi une forte puissance narrative par leur production de cartes, dont la presse se saisit et qui alimentent le débat public. À l’inverse, les modèles dits mécanistes, intégrant des processus plus complexes, montrent le plus souvent des résultats moins alarmistes (voir, par exemple, Benito Garzón et al, 2019 ou Cheaib et al, 2012).
L’utilisation abusive de ces outils pour condamner par anticipation des essences ou des peuplements constitue une faille majeure du dispositif. L’Union des Coopératives Forestières Françaises (UCFF) estime ainsi, dans un dossier de presse, que « seuls 1 à 10 % des arbres sont en capacité de survivre au changement climatique ». Un raisonnement qui justifie des coupes rases dans des peuplements améliorables.
Des peuplements abusivement qualifiés de pauvres
La possibilité de raser et reboiser des peuplements « pauvres » constitue l’autre faille majeure du plan de renouvellement. La notion de peuplement « pauvre » est avant tout économique et désigne un peuplement dont la valeur sur pied en bois d’oeuvre est modeste. Elle ne prend en compte ni la valeur économique future du peuplement s’il était amélioré, ni sa valeur écologique (voir plus bas). C’est ainsi que des peuplements de feuillus, avec de vieux arbres, peuvent être rasés pour être remplacés par des plantations de résineux.
Initialement, les peuplements « pauvres » n’étaient pas prévus dans le plan de relance. C’est sous la pression des coopératives forestières qu’ils ont été introduits. Comme le constate la Cour des Comptes, dans un rapport de mars 2024, ces projets n’ont pourtant aucun lien avec l’adaptation des forêts au changement climatique.
L’évolution du cahier des charges a permis de renforcer les critères encadrant la transformation de peuplements pauvres mais les abus restent nombreux. Dans un contexte de restriction budgétaire, il serait souhaitable d’exclure la transformation des peuplements pauvres du cahier des charges pour allouer l’argent public sur des projets plus utiles.
Une absence d’évaluation de l’impact sur le puits de carbone
Aucune évaluation environnementale du plan de renouvellement des forêts n’a été réalisée, alors que les impacts sur la biodiversité ou le puits de carbone sont significatifs.
Une des conséquences de ces coupes rases est d’augmenter de façon injustifiée la récolte de bois au-delà de la récolte des seuls bois objectivement morts ou dépérissants. Comme le note le rapport de l’IGN / FCBA (2024), les volumes récoltés par la mise en œuvre de ce plan (jusqu’à 2035) représenteraient entre 90 Mm3 et 135 Mm31 . En moyenne, cela représente donc une dégradation du puits de carbone forestier de l’ordre de 11 MtCO2/an. Cette dégradation est un choix politique car une grande partie des arbres récoltés sont des arbres sains et non des arbres morts. Cette stratégie est d’autant plus grave que la France n’atteint pas son objectif de -34 MtCO2/an en 2030 fixé par le règlement européen sur l’usage des terres.
Il est possible de réduire de façon forte ce déstockage de carbone en privilégiant l’amélioration des peuplements à leur transformation, par coupe rase puis plantation, à chaque fois que cela est possible.
Des critères de préservation des sols et des écosystèmes largement insuffisants
Globalement, le nouveau cahier des charges du fonds pérenne de renouvellement a permis de corriger certains points du plan de relance mais cela reste très insuffisant.
Ainsi, les demandeurs « doivent attester avoir pris connaissance des bonnes pratiques de préservation des sols et du bois mort en vue de la bonne exécution de leurs coupes et travaux ».
Pour la protection des sols, un « objectif-cible » de part de la surface forestière sur laquelle peuvent circuler les engins a été introduit dans la nouvelle version du cahier des charges. Une avancée sémantique appréciable mais la notion « d’objectif-cible » est un artifice connu pour éviter un critère contraignant et facilement vérifiable.
Pour la protection de la biodiversité, c’est en option et de façon limitée. La possibilité d’identifier et de maintenir les éléments d’intérêts écologiques a été introduite dans le nouveau cahier des charges mais d’une part elle est facultative et d’autre part elle est limitée à 10% de la surface pour être prise en compte dans l’assiette éligible des travaux. Au-delà : « si la partie environnementale du diagnostic montre une surface d’éléments écologiques à préserver supérieure à ces 10%, il est recommandé d’exclure une partie de ces surfaces d’éléments écologiques de toutes opérations sylvicoles ». Une partie ? Autrement dit, il est possible de détruire des éléments d’intérêts écologiques avec la bénédiction des pouvoirs publics. Cette possibilité est contraire à l’article 17 du règlement européen sur la taxonomie verte qui précise qu’aucune aide ne devrait être versée à un projet qui cause un préjudice important à la biodiversité (principe DNSH – Do No Significant Harm). Un principe d’ailleurs rappelé en page 4 du cahier des charges. À titre de comparaison, la méthode « reboisement » du Label Bas Carbone impose au porteur de projet de s’assurer de la non-régression de la biodiversité.
En ce qui concerne les projets en zone Natura 2000, le nouveau cahier des charges vient combler le vide du plan de relance, ce qui est positif. Une évaluation est nécessaire car les plans simples de gestion sont très souvent lacunaires et ne valent pas équivalence avec une étude d’incidence environnementale comme exigé par la règlementation. En effet, le plan de relance a conduit à la transformation d’environ 6600 hectares en zone Natura 2000 sans aucune étude d’incidence environnementale. Avec 1522 hectares, le douglas est également le premier arbre planté en zone Natura 2000.
Un plan de renouvellement qui aggrave les difficultés d’adaptation
Pour s’adapter à un changement, il existe deux grands types de stratégies : faire le pari de mesures proactives anticipant de nouvelles conditions, au risque d’aggraver la crise (maladaptation), ou adopter des mesures « sans regret » qui, même si elles échouent, n’auront pas d’effets négatifs.
La stratégie de renouvellement de la forêt française en s’appuyant sur des coupes rases par anticipation et la plantation de nouvelles essences supposées mieux adapter au réchauffement climatique pose deux problèmes majeurs.
D’abord, elle accroit à court terme les émissions de CO2. L’argument avancé selon lequel ce sacrifice serait compensé sur le long terme par une hausse du puits de carbone n’est pas recevable : le système climatique ne réagit pas de façon linéaire. Chaque tonne de CO2 émise aujourd’hui aggrave le changement climatique et complexifie les possibilités d’adaptation des forêts. La filière forêt bois, comme l’ensemble des secteurs, doit chercher à réduire ses émissions dès aujourd’hui.
Ensuite, elle conduit à une dégradation du microclimat forestier qui constitue pourtant notre principal atout pour tamponner les écarts de température. En effet, sous couvert forestier, il est démontré que la température peut-être de 10 à 15°C moins élevée lors des pics de chaleur qu’au milieu d’une coupe rase (Lenoir, 2023). Pratique quand l’objectif est d’envisager s’adapter à un réchauffement climatique de +4°C en France d’ici la fin du siècle. Pourtant, l’importance de préserver ce microclimat n’est même pas mentionnée dans la stratégie nationale d’adaptation (en consultation au moment où cet article est publié). L’exposition en plein soleil des jeunes plants explique, en majorité, la hausse du taux de mortalité constaté ces dernières années dans les nouvelles plantations.
Pour une stratégie d’adaptation des forêts s’appuyant sur les écosystèmes
Dans une tribune publiée dans Le Monde en octobre 2023, Canopée et d’autres associations, des scientifiques et des acteurs de la filière ont exprimé leur souhait et leur proposition pour améliorer ces cahiers des charges.
Plutôt que de se focaliser sur le stade de la plantation, il pourrait ainsi être plus pertinent de chercher à renforcer la résistance et la résilience des peuplements en place par des opérations de restauration écologique, moins intensives mais plus fréquentes, préservant le couvert forestier et donc le microclimat. Il s’agit, par exemple, d’éclaircies douces ou de plantations d’enrichissement permettant de diversifier progressivement les peuplements, en espèces et en structure. Cette possibilité a bien été introduite dans le nouveau cahier des charges du plan de renouvellement mais elle n’est pas encouragée. Elle est même complexifiée par l’exigence d’avoir un schéma régulier d’implantation de placeaux d’enrichissement plutôt que de laisser le gestionnaire les implanter là où ils sont utiles.
La coupe rase doit être l’exception tandis que l’amélioration de l’existant doit être la règle. C’est d’ailleurs l’engagement qui a été pris, par courrier daté du 17 janvier 2023, par Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
Notre priorité, c’est d’abord de ne plus financer les coupes rases, préalable à une demande de subventions. Nous le savons, de telles pratiques ne sont pas bonnes pour les sols, pour la biodiversité, et elles nous privent d’une végétation précieuse qui a encore du potentiel de croissance et donc captation du carbone.
Au final, malgré quelques modifications à la marge, le cahier des charges du renouvellement forestier reste très insuffisant et favorise les coupes rases et les plantations en plein au détriment de l’amélioration des forêts existantes.
Plan de relance (V1 du cahier des charges, juin 2022) | Fonds pérenne de renouvellement (V3 du cahier des charges, juillet 2024) | Notre avis | |
Peuplements sinistrés | Coupe rase possible si le taux de mortalité de l’essence prépondérante >20 %. | Coupe rase possible si le taux de mortalité concerne >20 % de la surface ou >20% des essences dominantes ou codominantes | Très insuffisant |
Peuplements vulnérables aux effets du changement climatique | Coupe rase possible si >20% de l’essence prépondérante est dépérissante (possibilité d’utiliser différents protocoles DEPERIS, ARCHI, BIOCLIMSOL) | Coupe rase possible si >20% du peuplement est dépérissant (arbres enclasses D, E ou F selon le protocole DEPERIS) . | Très insuffisant. |
Peuplements pauvres | Aucun critère autre qu’économique (voir infra) | Coupe rase possible si : Peuplements de petit bois (diamètre <20-25cm)Surface terrière de la réserve de futaie <10m2Ou nombre de tiges / hectare < 30 pour les recrus (>10 ans), les accrus, les taillis et les mélanges taillis-futaie appauvrisET <100 tiges d’avenir / hectares | Critère amélioré mais pas de prise en compte de la valeur écologique. |
Critère économique pour justifier le reboisement en plein (après coupe rase) | Valeur de la récolte > 3X montant des dépenses éligibles retenues (hors options etmaîtrise d’œuvre) pour les peuplements sinistrés, vulnérables et pauvres | Valeur de la récolte > 3X montant des dépenses éligibles retenues (hors options etmaîtrise d’œuvre) pour les peuplements sinistrés et vulnérables. | Très insuffisant car très peu discriminant. Ex : dépenser 5k€/ha pour une plantation est éligible si la récolte de bois <15k€/an. La valeur moyenne d’une forêt en France est de l’ordre de 5k€/ha. |
Diversification dans les plantations en plein | Pas d’obligation <10 ha 20% de diversification > 10ha Les différents clones de peupliers sont considérées comme des essences différentes | < 4ha : pas d’obligation 4-25ha : 20% de diversification, au moins 2 essences >25ha : 20% de diversification, au moins 3 essences Le maintien des éléments naturels est intégré dans la surface de diversification | Critère amélioré mais toujours insuffisant. |
AGIR
Vous pouvez nous aider à interpeller le conseiller du Premier ministre pour bloquer les subventions aux coupes rases