Enquêtes
Le plan d’un demi-milliard de dollars qui ne sauvera pas la forêt du Congo
Jusqu’à présent, le pays a été largement épargné par la déforestation à grande échelle, comme celle qu’on retrouve dans d’autres pays comme le Brésil et l’Indonésie. Mais cela commence à changer. Ses forêts pourraient bientôt être exposées à des énormes dégradations, voire leur disparition. Les moyens de subsistance de millions de personnes, ainsi que d’innombrables espèces sauvages, sont en danger. Les forêts et leurs sols riches en tourbe sont une bombe à retardement qui pourrait bien relâcher des milliards de tonnes de carbone dans l’atmosphère.
[1/4] Cet article est le premier une série de quatre, écrits par Simon Counsell, expert de la région du bassin du Congo. Nous examinons ici une nouvelle promesse de financement de 500 millions de dollars de la part de la communauté internationale. Nous nous interrogeons sur son efficacité pour prévenir la déforestation de la forêt tropicale du Congo. Dans les articles suivants, nous allons révéler de nouvelles investigations montrant ce qui se passe réellement dans les forêts du Congo, et ce qui peut être fait pour les protéger.
Le 2 novembre, pendant la COP26, Boris Johnson, le premier ministre du Royaume Uni a signé un accord au nom du CAFI (Initiative pour la Forêt de l’Afrique Centrale), organisation sous l’égide de laquelle un groupe de gouvernements comprenant la France, la Norvège et le Royaume Uni, pourrait faire un don d’un demi-milliard de dollars sur les quatre prochaines années pour aider le gouvernement de République Démocratique du Congo à protéger ses forêts. [1] L’accord fait suite à un précédent signé il y a cinq ans, qui promettait au moins deux cent millions de dollars .[2]
Un accord qui autorise une augmentation massive de la déforestation
L’accord précise que l’objectif est d’“arrêter et d’inverser la perte de forêts et la dégradation des terres d’ici à 2031” et que « la République Démocratique du Congo va compenser les pertes résiduelles de couvert forestier par la régénération naturelle ainsi que le boisement-reboisement et l’agroforesterie”. Mais le nouvel accord de financement accepte explicitement que la République Démocratique du Congo continue à massacrer ses forêts à un rythme très élevé. L’accord indique qu’“Un plafond de perte annuelle de couvert forestier est fixé à sa moyenne sur la période 2014-2018, soit un maximum de 667 867 ha par an”. [3] Ce seuil pourrait être revu à la baisse à partir de fin 2023 – bien qu’il n’y ait pas d’indication ni de plan sur de combien et comment la déforestation sera réduite après. Des données fournies par Global Forest Watch montrent que sur la période 2014-2018, la perte de forêt équatoriale primaire de la République Démocratique du Congo était en fait de 442 000 hectares par an – le nouvel accord pourrait donc permettre 50% de destruction supplémentaire sur des forêts jusque-là préservées, si cela devait se produire dans ces zones. [4] La perte de ces forêts naturelles pourrait être “compensée” par la plantation d’arbres ailleurs.
Une escalade de la déforestation annoncée
Mais les pays donateurs étaient bien conscients avant de signer le nouvel accord, que la déforestation en RDC pourrait s’intensifier plutôt que diminuer dans les années à venir. [5] La déforestation a augmenté de manière soutenue récemment. Mais cela aurait pu être bien pire s’il n’y avait pas eu, pendant les 20 dernières années, un décret présidentiel en place interdisant l’attribution de toute zone de forêt supplémentaire à des entreprises d’exploitation du bois. [6] Ce moratoire a été mis en place au début des années 2000, quand il est devenu clair que les forêts du pays étaient en train d’être pillées par une exploitation chaotique et souvent illégale du bois et des terres.
Les exploitations forestières établies avant le moratoire couvrent près de 10 million d’hectares. Elles sont truffées de corruption et illégalités, sont à l’origine de larges dégâts environnementaux et conflits sociaux, et ne génèrent presque aucun bénéfices pour l’économie congolaise. [7] Les analyses ont montré que les nouvelles concessions forestières en RDC pourraient causer plus de 10 millions de tonnes d’émissions de dioxyde de carbone supplémentaire dans les années à venir. [8]
Plus tôt dans l’année, la Vice Premier Ministre, la Ministre du Développement Durable, Eve Bazaiba, a annoncé l’intention du gouvernement de lever ce moratoire. [9] Un décret l’ordonnant doit encore être signé, mais cela pourrait potentiellement ouvrir quelques 70 millions d’hectares de forêts tropicales à l’exploitation forestière – une surface à peu près équivalente à celle de la France. Cela aurait un impact catastrophique. Les coupes sélectives de bois ne causent généralement pas de déforestation à grande échelle, mais cela peut dégrader de grandes zones de forêt très rapidement, faisant disparaître des espèces clés d’arbres, ouvrant la canopée à la lumière du soleil et fragmentant des zones jusque-là intactes, et démarrant une « cascade de destruction ».[10] Le nouvel accord de financement du CAFI ne prévoit rien pour prévenir cette forme de dégradation. Techniquement, la « déforestation » ne se produit seulement quand moins de 10 pour cent de la couverture forestière est maintenue. Mais les forêts peuvent être impactées de manière irréversibles bien avant que ce niveau ne soit atteint. D’anciennes exploitations forestières en RDC connaissent maintenant un taux de déforestation très élevé. [11]
Plutôt que d’insister sur une extension du moratoire, le nouvel accord de financement demande simplement que sa levée soit faite en accord avec le décret présidentiel de 2005. Les quelques travaux techniques nécessaires pour cela – principalement établir une programmation géographique définissant où les nouvelles concessions seraient « entièrement financés par CAFI d’ici fin 2022 ». En d’autres termes, les donateurs derrière le CAFI se sont mis d’accord pour aider à ammorcer la destruction des forêts de RDC.
Pas de leçons tirées de l’échec du passé
D’autres aspects de ce nouvel accord soulèvent aussi des doutes. Tout les principaux « engagements politiques » à prendre par le gouvernement de la RDC dans le cadre de l’accord peuvent être reportés jusqu’en 2030. Il y a un objectif positif qui vise à accroître les forêts communautaires dans le nouveau programme, bien que l’objectif de 5 million d’hectares pour 2030 manque clairement d’ambition. L’exigence pour un contrôle communautaire devrait être beaucoup plus élevée. Certaines mesures potentiellement positives devraient être prises dans les années à venir – telle que l’adoption de nouvelles lois de planification de l’utilisation des terres, et la protection des forêts de l’expansion de l’agriculture commerciale. Mais des échéances similaires mises en place dans le précédent accord du CAFI ont simplement été ignorées. Des mesures urgentes pour gérer l’exploitation forestière illégale, par exemple, qui auraient dû être mises en place par le gouvernement avant fin 2017, et pour lesquelles rien n’a été fait. Et le CAFI a malgré tout continué à financer ses programmes.
En effet, le précédent programme du CAFI laisse peu d’espoir quant à la mise en place du nouveau. Pendant plus d’un an, le Ministère de l’environnement a boycotté le comité chargé du programme. La liste des projets, qui doit encore être complétée, ressemble à un mélange d’idées pour lesquelles différentes agences internationales à Kinshasa cherchaient des financements, certaines d’entre elles ayant un rapport bien lointain avec les forêts. Il n’y a pas eu de réelle évaluation des impacts du programme, et il n’y a aucun signe qu’il ait permis un ralentissement de la déforestation, même localement. La plupart des premiers 200 millions de dollars n’a pas encore été dépensée. [12] Le gouvernement congolais lui-même a été exclu de la liste des récipiendaires, par risque de corruption. L’ensemble de l’argent du CAFI est passé par l’intermédiaire d’agences des Nations Unies, et la plus grosse partie de ces fonds est toujours bloquée sur leurs comptes bancaires. La majorité du budget a été utilisé pour financer les hauts salaires de personnel et consultants expatriés. Le ministre actuel de l’environnement a exprimé son indignation à propos du gaspillage des premiers fonds, particulièrement sur un programme de planning familial. [13]
Avant février 2022, quand le CAFI décidera sur quoi il dépensera ses 500 millions de dollars, il doit étudier attentivement les résultats du premier programme (ou l’absence de résultats), et soigneusement évaluer les données sur les causes de la déforestation au Congo. Les programmes doivent être mis en place pour y faire face, en impliquant d’autres partenaires que la clique habituelle des agences internationales.
La levée du moratoire sur l’exploitation forestière de RDC est probablement la principale menace pour les forêts tropicales. La France ainsi que les autres donateurs y compris le Royaume Uni, la Norvège, l’Allemagne et les Pays Bas, doivent tout faire pour garantir que les autres options pour l’avenir des vastes forêts tropicales du pays sont d’abord tentées, et en particulier accorder un plus grand contrôle aux peuples autochtones et communautés locales. Plutôt que d’accroitre l’exploitation forestière, nous nous joignons aux organisations congolaises pour dire qu’elle devrait être limitée. Toutes les activités d’exploitation forestière illégales doivent être stoppées et leurs concessions immédiatement rendues à L’État, comme la loi l’autorise. Les fonds du CAFI pourraient aider au futur des forêts de RDC, mais uniquement si une orientation radicalement différente de celle prise dans le passé est suivie.
[1] CAFI, 2021. Letter of Intent on the Renewal and Expansion of the Partnership for Green Rural Development in the Democratic Republic of the Congo for the period of 2021-2031 Between the Central African Forest Initiative (CAFI) and The Government of the Democratic Republic of the Congo. https://bit.ly/3GKjQsB
[2] CAFI, 2016. Letter of Intent For the Establishment of a Partnership Between The Government of the Democratic Republic of the Congo (DRC) And The Central African Forest initiative (CAFI). https://bit.ly/3DT8Szl
[3] CAFI, 2021, ibid.
[4] Global Forest Watch https://bit.ly/30XYaZV. Loss of other types of tree cover, including regrowth on old farmland was greater. A future article in this series will explain why the data on deforestation in DRC and other African countries can be confusing and seemingly contradictory,
[5] Voir la lettre d’ONG aux pays donateurs, 23 September 2021, ‘Imminent threat to the Congo Basin rainforest from the lifting of the DRC moratorium on new logging concessions’ https://bit.ly/3nPtjr4
[6] Journal official de la Republique due Congo,25th October 2005. Décret n° 05/116 du 24 octobre 2005 fixant les modalités de conversion des anciens titres forestiers en contrats de concession forestière et portant extension du moratoire en matière d’octroi des titres d’exploitation forestière. https://bit.ly/3oZ5kVT
[7] Voir par exemple, Hance, J, 2014, Nearly 90 percent of logging in the DRC is illegal, Mongabay, 8th Aoril 2014, https://bit.ly/3cOYs82
[8] Rainforest Foundation UK, 2017. Logging in Congo’s rainforests: A Carbon Bomb about to be primed by the government of Norway. https://bit.ly/3xlm0uD
[9] DeskNature.com. RDC: Eve Bazaïba persiste et signe : « Nous levons le moratoire… pour prendre des mesures maxima et coercitives’ 9th September 2021. https://bit.ly/3G2ooJZ
[10] Voir par exemple, RFUK, 2007. Concessions to Poverty; The environmental, social and economic impacts of industrial logging concessions in Africa’s rainforests. https://bit.ly/3cMOzYn
[11] Rainforest Foundation UK, 2021. Use it and lose it – Industrial logging and its role in deforestation in the Democratic Republic of Congo. https://bit.ly/3lakbfb
[12] UNDP, undated. Multi-partner Trust Fund Office portal. https://bit.ly/3DYVJVy
[13] EnviroNews RDC. Environnement : 2ème lettre d’intention CAFI-RDC, Eve Bazaiba veut voir très clair avant tout https://bit.ly/2WTPJgn